SESSHŪ TŌYŌ (1420-1506)
Un moine-peintre
Vers 1478-1479, Sesshū quitta le Kyūshū pour mener une vie d'errance, passant d'une communauté zen à une autre et s'imprégnant des paysages japonais dont la comparaison avec ceux de la Chine qu'il avait pu contempler lui permit d'appréhender l'essence. Il représente alors des sites de son pays, tels le mont Fuji ou la cascade de Jinta, peintures aujourd'hui perdues mais dont le souvenir s'est perpétué grâce à des copies plus tardives.
En 1486, il revenait à Yamaguchi où Ōuchi Masahiro l'aida à reconstruire sa retraite de l'Unkoku-an. En témoignage de reconnaissance, l'artiste composa le sansui shokan (grand rouleau de paysages) de la collection Mori. Si l'inspiration d'un Xia Gui y est sensible, le tempérament très personnel de Sesshū s'y révèle par une vigueur de pinceau peu commune, l'habileté du balancement des vides et des forts encrages. La vie anime cette composition, l'air y circule avec un réalisme que l'on chercherait vainement dans les shigajiku (paysages accompagnés de poèmes) de ses prédécesseurs.
Vivant à Yamaguchi, entouré de disciples venus s'initier auprès de lui, Sesshū poursuivit son activité jusqu'à un âge très avancé. En 1495, âgé de soixante-quinze ans, il peignit à l'intention de son élève Josui Sōen, qui retournait dans son monastère de Kamakura, le Haboku sansui, paysage de style cursif ou pomo (encre éclaboussée), dans lequel les formes sont modelées par taches. L'inscription de ce rouleau fournit quelques indications sur la biographie de l'artiste qui, après avoir salué ses maîtres Josetsu et Shūbun, déclare que les peintres rencontrés en Chine lui ont peu appris, à l'exception de Li Zai et de Chang Yousheng, peintre inconnu, qui l'initièrent à la pose des couleurs et à la technique de l'encre éclaboussée.
Resté fidèle à sa robe de moine en dépit de sa vie d'errance, Sesshū, vers quatre-vingts ans, représentait un épisode fameux de l'histoire du zen, celui de Huike se coupant le bras pour attirer l'attention de Bodhidharma perdu en méditation dans une grotte. Témoin de sa fidélité au dogme, cette œuvre un peu sèche ne soutient pas la comparaison avec le chef-d'œuvre que Sesshū peignit à l'âge de quatre-vingt-deux ans, le grand paysage d'Ama-no-Hashidate, site célèbre de la région de Fukui, sur la mer du Japon. Dans cette représentation réaliste, baignée dans le soleil qui fait miroiter l'eau et le sable, se résume toute la vie d'étude qui permit à Sesshū de donner à une technique étrangère une expression vraiment japonaise. Une connaissance profonde du zen, une communion intense avec la nature seraient, selon le professeur Hasumi, à l'origine de cette réussite, qui doit aussi son éclat à la maîtrise exceptionnelle de l'artiste dans le maniement de l'encre et du pinceau.
Cette maîtrise s'est affirmée dans des genres très divers, car Sesshū ne s'est pas limité à une seule formule. Le portrait de Masuda Kanetaka, peint en 1479, le montre fidèle à la tradition japonaise du nise-e, portrait à la ressemblance dans le style du Yamato-e ; on lui attribue encore plusieurs paravents de fleurs et d'oiseaux dans un genre décoratif dont il avait peut-être trouvé des exemples en Chine. Parmi ces paravents, celui de la collection Maeda, peint à l'âge de soixante et onze ans, est considéré comme authentique ; des grues y évoluent parmi des arbres, et la délicatesse de leur plumage, se détachant dans le vide, contraste avec la vigueur des troncs d'arbres et des rochers qui les environnent.
L'art d'un Kanō Motonobu semble annoncé dans cette composition, mais la souplesse et l'animation de la ligne qui caractérisent l'œuvre de Sesshū contrastent avec le cerne épais du décorateur du [...]
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Écrit par
- Madeleine PAUL-DAVID : ancien maître de recherche au CNRS, professeure honoraire à l'École du Louvre, chargée de mission au Musée national des arts asiatiques-Guimet
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