SEXE ET GENRE Enseigner les études sur le genre au lycée
Une vision naturalisante des identités sexuelles
Comment comprendre un tel déchaînement de passions pour quelques lignes en apparence assez banales aux yeux d'un sociologue formé aux études sur le genre ? Peut-on donner raison à des telles attaques ? Le premier constat possible est sans conteste le flou conceptuel caractérisant le débat. Alors que les études sur le genre peinent elles-mêmes à s'accorder sur les termes centraux de leurs réflexions et sur leur définition, on ne saurait exiger de tous une connaissance de ces concepts. On peut néanmoins regretter que, pour dénoncer la dissimulation d'une idéologie sous des prétentions scientifiques, les pourfendeurs du manuel Hachette n'aient guère fait preuve de plus de rigueur théorique. En amalgamant sans hésitation « identité sexuelle », « orientation sexuelle », « genre sexuel », ils ont réduit les analyses du genre aux prises de position radicales de féministes américaines qui, à l'instar de Judith Butler, seraient coupables d'entretenir la guerre des sexes et d'inviter à toutes les subversions sexuelles imaginables.
Ce flou conceptuel et cet amalgame théorique s'expliquent en partie par le refus de remettre en cause une vision naturalisante des identités féminines et masculines, ainsi que des orientations sexuelles. Au-delà d'un conflit politique entre conservateurs et progressistes (le Parti socialiste dénonça la « vision totalement rétrograde des identités de genre » du groupe de députés U.M.P.), les contestataires voulaient avant tout rappeler la simplicité d'une réalité à leurs yeux indiscutable : la « loi morale naturelle » suppose une « inclination naturelle vers l'autre sexe ». Cela amena certains d'entre eux, dont Christian Vanneste, député U.M.P. de la droite populaire, à considérer que le « lobby gay » était à l'origine de ces textes. Il est vrai que, dans d'autres circonstances, il avait affirmé que l'homosexualité constituait une menace pour la survie de l'humanité.
Derrière ces glissements conceptuels et théoriques se dissimulait en fait une affirmation idéologique d'inspiration catholique, et non une analyse scientifique. Les pages mises en cause perturbaient la vision naturalisante des identités masculine et féminine, largement partagée dans la société, bien au-delà des milieux catholiques conservateurs. En témoignent notamment le succès du livre de John Gray Les hommes viennent de Mars, les femmes viennent de Vénus (1997), ou encore la multiplication des travaux de neurobiologie cherchant à démontrer que les différences comportementales entre hommes et femmes s'expliqueraient avant tout par des fonctionnements cérébraux distincts (sur cette question, voir Cerveau, sexe et pouvoir de Dorothée Benoit-Browaeys et Catherine Vidal, 2005).
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Écrit par
- Christine GUIONNET : maître de conférences en sciences politiques à l'université de Rennes-I, Centre de recherches sur l'action politique en Europe (U.M.R. 6051)
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Média