SEXE ET GENRE Enseigner les études sur le genre au lycée
Sensibiliser les lycéens aux questions du genre
S'il est pourtant un grand enseignement des analyses sur le genre, c'est précisément que l'opposition entre nature et culture, entre données biologiques et construction sociale n'a guère de sens, tant les interactions entre ces deux dimensions sont incessantes et multiples (ainsi, les travaux de Paola Tabet ont montré, en 1998, comment certaines pratiques sociales pouvaient modifier le fonctionnement du corps humain). Plus encore, le regard naturalisant posé sur les identités féminines et masculines a souvent tendance à justifier le maintien de relations inégalitaires entre hommes et femmes. D'où, précisément, l'intérêt de connaître et d'enseigner la notion de « genre », conceptualisée par l'historienne américaine Joan W. Scott : « Le genre est un élément constitutif de rapports sociaux fondés sur des différences perçues entre les sexes, et le genre est une façon première de signifier des rapports de pouvoir » (1988). Appréhender cette construction sociale du féminin et du masculin comporte de lourds enjeux sociaux et permet de signaler le manque de pertinence de certains stéréotypes porteurs d'inégalités et d'injonctions normatives (les hommes doués pour les mathématiques et les femmes pour les lettres, les hommes faits pour le bricolage et les femmes pour la cuisine, le rôle irremplaçable du maternage face à des pères symbolisant l'autorité face à la douceur maternelle, le don supposé des femmes pour le care, le soin à autrui, le caractère pathologique d'une sexualité non hétérosexuelle, etc.). À une époque où l'on évoque beaucoup la « crise de la masculinité » et où certains cherchent à réaffirmer leur virilité en affichant une homophobie sans scrupule, sensibiliser les lycéens aux analyses sur le genre constitue à n'en pas douter un enjeu important.
Le lycée n'est sans doute pas un endroit où l'on peut exposer en détail tous les débats sur le genre, ni présenter la déconstruction radicale prônée par le mouvement Queer, qui s'inspire notamment de Judith Butler (dans son célèbre ouvrage de 1990, Trouble dans le genre, elle dénie toute réelle pertinence à l'opposition entre hétérosexualité et homosexualité et appelle à dépasser les conceptions essentialistes du féminin et du masculin). Mais, loin du discours militant et parfois provoquant de certains mouvements L.G.B.T., l'enseignant souhaitant lutter contre le sexisme ordinaire et les discriminations entre genres, contre l'homophobie et, plus largement, contre la stigmatisation des orientations sexuelles non hétérosexuelles, peut inviter les lycéens à questionner leurs préjugés, à « complexifier » leurs modes de raisonnement sur le féminin et le masculin. Ils pourront ainsi enrichir leurs réflexions autour de la notion complexe mais centrale du genre. Le développement de la tolérance, du respect d'autrui, la sensibilisation aux inégalités, la mise en avant d'une possibilité d'épanouissement dans sa propre vie sexuelle et sentimentale – quelle qu'elle soit – peuvent constituer un objectif louable face à de jeunes générations déjà fragilisées par un contexte socio-économique peu enthousiasmant.
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Écrit par
- Christine GUIONNET : maître de conférences en sciences politiques à l'université de Rennes-I, Centre de recherches sur l'action politique en Europe (U.M.R. 6051)
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Média