GENRE
Déconstruire les stéréotypes quotidiens
Les utilisations des notions de gender ou de genre furent variables et donnèrent lieu à de nombreux débats. Certaines féministes sont allées jusqu'à estimer que le terme était trop usité pour conserver sa capacité critique, et lui ont préféré les notions de « rapports sociaux de sexe », ou encore de « sexe social ». Traduire le concept anglais n'était guère évident, notamment en français, le terme « genre » étant polysémique. En outre, comme l'a rappelé Éric Fassin, la traduction tendait à gommer l'histoire spécifique du féminisme anglo-saxon, associé au puritanisme et à la guerre des sexes, là où le féminisme français semblait plus pacifique.
Mais au-delà de la diversité de ses usages, le concept de « genre » comporte un intérêt remarquable, en ce qu'il permet de déconstruire et de questionner des réalités sociales souvent hâtivement décrites comme naturellement imposées et irrémédiables, dans de très nombreux domaines sociaux. Plus personne n'oserait aujourd'hui écrire, tel Gustave Lebon à la fin du xixe siècle, que « le volume du crâne de l'homme et de la femme, même quand on compare des sujets d'âge égal, de taille égale, et de poids égal, présente des différences considérables en faveur de l'homme, et cette inégalité va également en s'accroissant avec la civilisation, en sorte qu'au point de vue de la masse du cerveau et, par suite, de l'intelligence, la femme tend à se différencier de plus en plus de l'homme ». Mais les stéréotypes demeurent nombreux, quant à des prédispositions féminines ou masculines supposées naturelles : ainsi des talents innés de la femme pour le maternage et le soin à autrui, des compétences plutôt masculines pour les domaines scientifiques et techniques et de l'appétence féminine corollaire pour les matières littéraires et les métiers relationnels, ou encore des approches différentes de la politique qui distingueraient hommes et femmes, etc. Raisonner en termes de genre permet d'interroger ces types de présupposés communs, en soulignant combien la réalité est souvent plus complexe, liée à des représentations sociales parfois tellement intériorisées que les individus n'en ont plus conscience et peuvent avoir le sentiment d'agir par simple goût ou choix personnels. Il devient dès lors souvent difficile de déterminer si un comportement est lié à des injonctions et des normes sociales, à un choix individuel, ou bien à un « faux » choix consistant en réalité à « faire de nécessité vertu », comme le note Pierre Bourdieu dans La Condition masculine (ainsi les filles choisissant les sections littéraires en étant persuadées qu'elles sont plus douées pour les lettres).
Travailler sur les identités hommes/femmes et leurs relations impose de renoncer à des schémas simplistes et catégoriques, pour souligner au contraire la complexité de la « fabrique » du genre. Il est tout d'abord nécessaire de ne pas présupposer l'existence de deux groupes homogènes, « les hommes » et « les femmes ». Il faut ensuite tenir compte de la multiplicité et de l'ambivalence des processus de socialisation, par exemple les modèles différents et les injonctions contradictoires présents dans la publicité, qui contribuent à fixer ou à faire évoluer – souvent très lentement –, certains stéréotypes, certaines identités et relations sociales. Il faut aussi être attentif à la coexistence d'identités de genre historiquement construites et fortement contraignantes avec la participation de chaque individu, au quotidien, à la construction des représentations du masculin et du féminin : le genre est une donnée objectivable, mais également un rapport interindividuel en construction permanente. Il est d'ailleurs impossible d'isoler le genre d'autres données telles que le milieu socioprofessionnel,[...]
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Écrit par
- Christine GUIONNET : maître de conférences en sciences politiques à l'université de Rennes-I, Centre de recherches sur l'action politique en Europe (U.M.R. 6051)
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