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BARTAS SHARUNAS (1964- )

Cinéaste lituanien, Sharunas Bartas est né le 16 août 1964 à Siauliai. Adolescent, il s’intéresse à la photographie et au cinéma, qu’il pratique en amateur. Lors d’une expédition en Sibérie, il découvre le peuple des Tofolars, chasseurs-cueilleurs sédentarisés de force, dont la langue et le mode d’existence sont menacés. Ils donneront son thème au film Tofolaria (1986). Admis au VGIK, l’institut national lituanien de la cinématographie, Sharunas Bartas rencontre à Moscou Katerina Golubeva (1966-2011), alors apprentie comédienne, qui deviendra son épouse et la protagoniste de trois de ses films.

Au tout début de latransition démocratique impulsée par Mikhaïl Gorbatchev, Sharunas Bartas tourne un moyen-métrage à Vilnius, première capitale à proclamer son indépendance en 1990, Praejusiosdienosatminimui (En mémoire d’un jour passé, 1990). Mi-documentaire, mi-cinépoème, jouant d’un noir et blanc éclatant et saturé d’une infinité de gris, où chaque photogramme revêt une valeur picturale, l’œuvre est composée de scènes discontinues, filmées en extérieur dans la cité hivernale, de séquences de processions, de sortie de messe, de déambulations. Les sons naturels et des bribes de phrases composent une bande-son bruitiste. La parole du prédicateur se répand jusque dans la rue. Avec la magnifique scène du carillonneur, la spiritualité exulte, les arbres se déploient, un vol d’étourneaux s’égaie. On pense aux films d’avant-garde des années 1920 et à Dimitri Kirsanoff (1899-1957), originaire de ces mêmes terres.

En 1990, avec la dislocation du bloc de l’Est, Bartas, soucieux de son indépendance matérielle, fonde une coopérative, le Studija Kinema, pour produire ses films et ceux de réalisateurs qui lui sont proches, comme Valdas Navasaitis. Il rachète à bas coût des caméras soviétiques et une table de montage et réalise TrysDienos (Trois jours, 1991) et Koridorius (Corridor, 1994). Le premier reprend le thème de l’errance, le second celui du confinement. Tous deux disent le désenchantement. Trois joursnarre la rencontre à Kaliningrad – l’ancienne Königsberg –, sur la mer Baltique, de deux jeunes campagnards et de deux jeunes filles russes. Les personnages n’ont pas de nom ; les dialogues sont inexistants. D’un passé glorieux, il ne reste rien. Plus d’avenir dans un monde en proie à l’entropie. Le temps d’une séquence, les corps se débrident dans la danse, l’alcool aidant. Alors que Trois jours traduit la déperdition d’énergie, Corridor resserre l’action dans un couloir et des espaces réduits, créant une sensation physique d’étouffement. Un des personnages les plus hallucinés est un enfant alcoolique qui enflamme les draps séchant dans l’arrière-cour. La présence de Katerina Golubeva, comédienne bressonnienne au visage d’icône, contribue à la beauté des deux œuvres.

Ces films sont découverts, le premier à la Berlinale 1992, le second à la Viennale 1995. Jean-Luc Godard cite un plan de Corridor dans ses Histoire(s) du Cinéma (1998) et Leos Carax s’enthousiasme pour le jeune cinéaste balte. Les films suivants, de 1996 à 2004, seront produits par Paulo Branco, qui finance une nouvelle expédition du cinéaste en Sibérie. Few of Us (1996), dernier film tourné avec Katerina Golubeva, est un hymne à une nature peuplée de rennes, de chevaux, d’oiseaux, et à sa dimension cosmique. La caméra capte le passage des saisons. En contrepoint de cette splendeur, les vieux chasseurs sont tout ce qu’il reste de la culture tofolar. Le thème de la disparition imminente fait le lien entre ce peuple et le destin de ceux qui se situent aux marges.

Jusqu’au milieu des années 1990, les films de Sharunas Bartas refusent la narration autant que l’explication. Ils invitent, par leur lenteur, à une exploration tâtonnante aussi bien des paysages que des visages. Ce cinéma passionne cinéphiles et curieux des [...]

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Écrit par

  • : agrégée d'allemand, maître de conférences en civilisation germanique à l'université de Paris-VII-Denis-Diderot

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