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WATT-CLOUTIER SHEILA (1953- )

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Sheila Watt-Cloutier est née le 2 décembre 1953 à Kuujjuaq (dans le Nunavik, nord du Québec), dans la discrétion et l'éloignement caractéristiques du cercle polaire. Ses parents souhaitèrent certainement qu'elle vive une vie heureuse avec les siens dans la tradition inuite plusieurs fois millénaire, mais son action contre le réchauffement climatique l'a rendue mondialement célèbre.

Durant ses premières années, elle connut la vie traditionnelle des jeunes Inuit, voyageant avec ses parents en traîneau à chiens sur la banquise immense et immuable. Sa vie était intimement liée à la nature et aux conditions polaires, régulée au gré des saisons par la chasse aux phoques, aux ours blancs, aux caribous et aux outardes, et intimement dépendante du climat. La banquise et la neige sont tout aussi importantes pour l'ours blanc que pour le phoque ou l'Inuk. La banquise qui recouvre l'océan Arctique permet de voyager partout durant l'hiver : passer de la terre ferme d'Iqaluit aux îles de la Terre de Baffin, ou relier les côtes est et ouest de la baie d'Hudson. Cette banquise, qui sert de berceau pour la mise bas de bébés phoques, sert également aux chasseurs que sont les ours et les Inuit. Ce couvert de glace est en quelque sorte le fondement de la vie du Grand Nord, et fut un élément important de l'éducation de la jeune Sheila.

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Dès dix ans, elle quitte son monde pour étudier en Nouvelle-Écosse, puis au Manitoba. Elle termine ses études en sociologie et en psychologie au Québec, à l'université McGill de Montréal. C'est à cette époque que la société québécoise s'éveille à la réalité choquante des pluies acides, cette pollution transportée du sud vers le nord par les vents dominants. Nul doute qu'à ce moment un déclic se fit dans l'esprit de la jeune fille. Si le vent et la pluie déplaçaient vers le nord la pollution produite par l'industrie et les transports des États-Unis ainsi que du sud du Canada, causant, entre autres, l'acidification, l'empoisonnement aux métaux lourds et la déminéralisation des sols et des lacs, se pourrait-il que le Grand Nord soit victime du transport à longue distance des polluants atmosphériques ? Ainsi pourrait bien s'expliquer son engagement écologique résolu et fort bien documenté sur la question des polluants organiques persistants (POPs), dans les années 1990.

L'histoire de Sheila Watt-Cloutier peut faire rêver : c'est un peu comme si un inukshuk – monument de pierre de forme humaine indiquant aux voyageurs de l'Arctique le chemin à suivre – s'était incarné en elle pour indiquer au monde entier la voie à prendre pour protéger la maison. De son village natal de Kuujjuaq aux plus importantes tribunes politiques du monde comme l'Assemblée des Nations unies à New York, elle est devenue une politicienne et une écologiste exceptionnelle. Secrétaire générale de la société Makivik, l'organisme responsable des revendications territoriales des Inuit du Québec, de 1995 à 1998, elle est en même temps à la tête de la section canadienne de la Conférence circumpolaire inuite. De 2002 à 2006, elle préside la Conférence circumpolaire inuite, qui représente les Inuit du Canada, des États-Unis, du Groenland et de la Russie.

Son engagement politique sert admirablement la cause environnementale, d'abord sur la question des POPs, dossier dans lequel elle obtient des résultats importants pour le monde entier. Son travail éveille la communauté internationale au problème de l'empoisonnement de la chaîne alimentaire en milieu nordique par ces POPs et ouvre la voie à un accord international sur le contrôle et la réduction de ces polluants. Forte de ces résultats impressionnants et très déterminants, Sheila Watt-Cloutier s'engage dans la lutte contre les bouleversements climatiques.

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Constatant depuis une dizaine d'années les impacts dévastateurs, dans la région arctique, du réchauffement planétaire causé par les gaz à effet de serre engendrés par la combustion des combustibles fossiles, la Conférence circumpolaire inuite dépose, avec la Commission interaméricaine des droits de la personne, une pétition au nom des 155 000 Inuit, demandant aux États-Unis d'agir de manière responsable. Cette pétition, appuyée par un document de 167 pages et déposée à Washington en décembre 2005, accuse sans ménagement le gouvernement américain d'être le principal acteur des bouleversements climatiques, géographiques et culturels accablant son peuple et l'Arctique dans son ensemble. Ce document, qui a eu une résonance mondiale extraordinaire, fait clairement et majoritairement porter par la société de consommation américaine et son appétit insatiable pour les combustibles fossiles la responsabilité des impacts extrêmement dommageables pour les humains et la faune de l'Arctique.

Cette dernière prise de position de Sheila Watt-Cloutier lui vaut une forte reconnaissance internationale à titre d'écologiste engagée. Elle reçoit plusieurs distinctions, dont le prix Sophie pour l'environnement (2005), le prix Champion de la Terre du Programme des Nations unies pour l'environnement (2005) et le prix Mahbub ul Haq du Programme des Nations unies pour le développement (2007). Elle est proposée par deux parlementaires norvégiens pour le prix Nobel de la paix en 2007, prix qui sera toutefois attribué à l'ancien vice-président américain Al Gore et au Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (G.I.E.C.).

— André BÉLISLE

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Écrit par

  • : président de l'Association québécoise de lutte contre la pollution atmosphérique

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