SHEN ZHOU[CHEN TCHEOU](1427-1509)
Imitation et création
La plus grande partie de sa jeunesse fut sans doute consacrée aux études littéraires (Shen Zhou est un excellent poète) ; sa formation de peintre, lente et approfondie, fut peut-être plus tardive (la plus ancienne œuvre datée que nous connaissions de lui fut peinte à l'âge de trente-sept ans). Initié à la peinture par son père et par son oncle, il étudia d'abord les œuvres des Anciens (Tang, Cinq Dynasties et Song du Nord), et puis il copia nombre des grands aînés de l'époque Yuan : Huang Gongwang, Ni Zan, Wang Meng et Wu Zhen ; ceux-ci exercèrent sur lui une influence décisive et lui fournirent une constante source d'inspiration. Shen Zhou est un artiste prodigieusement cultivé, capable de paraphraser les modèles les plus variés et disposant d'un registre de styles d'une déconcertante diversité. Jusqu'à la fin de sa vie, il ne cessera de copier les maîtres ; mais en même temps, il est bien plus qu'un érudit ou un éclectique : sa profonde intelligence des Anciens et la vitalité même de son tempérament lui permettent d'assimiler, de maîtriser ses modèles, et d'en extraire un aliment pour sa propre création. Il se sert des Anciens comme les Anciens se servaient de la nature. Chez lui, l'imitation n'est jamais une copie littérale, mais une création au second degré (pensons par exemple aux copies de Rubens par Delacroix, ou de Delacroix par Van Gogh) – et une création intellectuellement enrichie par le jugement et l'analyse que l'artiste porte sur ses devanciers en utilisant leur système plastique, subtilement détourné de son objet originel.
Un exemple éloquent de la liberté avec laquelle Shen Zhou parvient à exprimer une vision personnelle à travers des formes empruntées, en faisant de l'imitation un tremplin pour la création, nous est fourni par sa vue monumentale du mont Lu. Dans cette œuvre qui date du début de sa maturité (1467), l'artiste s'est inspiré de Wang Meng pour le traitement des rochers, le jeu des « rides » et le développement tourbillonnant des formes ; mais le procédé expressionniste du maître Yuan est employé ici au service d'une vision symbolique et subtilement archaïsante (tels les pics des Cinq Vieillards juxtaposés comme cinq pierres levées dans le coin supérieur droit). Le mouvement baroque emprunté à Wang Meng, au lieu de tournoyer sans attaches comme dans la plupart des compositions hautes et étroites de cet artiste, s'appuie ici sur une large assise, et une construction d'une majestueuse stabilité s'érige sous cette agitation. Dans cette œuvre, Shen Zhou réalise le double paradoxe de renouer, à travers l'expressionnisme lyrique et subjectif de Wang Meng, avec la grande vision universaliste du paysage classique et de rejoindre, par le biais d'une complexe élaboration formelle, le souffle cosmique des monts et des eaux que les Anciens quêtaient directement au sein de la nature. Il réussit ainsi à donner de l'antique conception mystique de la montagne un symbole neuf et efficace, et il restaure l'art du paysage dans sa monumentalité originelle.
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Écrit par
- Pierre RYCKMANS
:
reader , Department of Chinese, Australian National University
Classification
Média
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