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SHIGA NAOYA (1883-1971)

Les textes de Shiga Naoya sont simples et énigmatiques. Presque tous furent présentés au public sous l'appellation de shōsetsu, qu'il est convenu de traduire par « roman ». Des romans ? Le mot ne convient (à une exception près) pour aucun d'entre eux. Contes ? nouvelles ? pas davantage ! Des récits, peut-être...

À leur propos a été évoqué le terme de shi-shōsetsu ou watakushi-shōsetsu. Le « récit à la première personne », ou mieux le « récit personnel », dans lequel l'auteur confond la création romanesque et la relation de sa propre vie privée, constitue aux yeux des critiques l'un des apports les plus originaux de la littérature japonaise moderne. Étiquette souvent arbitraire : la merveilleuse aventure du guerrier pleutre Akanishi Kakita (Akanishi Kakita, 1917) est une pure fantaisie, alerte et désinvolte. En mainte occasion, la réalité n'offre à Shiga Naoya qu'une éphémère suggestion qui met en mouvement son imagination : Seibi et la gourde (Seibi to hyōtan), Le Crime de Han (Han no hanzai, 1913).

Shiga Naoya se défie pourtant de la fiction, et cette réaction instinctive sera partagée par de nombreux romanciers ou prosateurs. Dans ses œuvres les plus intenses, il met en scène sa propre famille, se limite à ce cercle étroit et montre, bien qu'avec un concision extrême, les démêlés qu'il a avec ses proches, les angoisses qui le menacent : La Mort de la mère et la nouvelle mère (Haha no shi to atarashii haha, 1912), Réconciliation (Wakai, 1917), Souvenir de Yamashina (Yamashina no kioku, 1926). Le récit est souvent mené à la troisième personne et le personnage principal (lui-même) porte un nom imaginaire. A mesure qu'il avance en âge, il désigne ses amis par leurs initiales, intervient à son tour : A Kinosaki (Kinosaki nite, 1917), Jour de neige (Yuki no hi), Feux (Takibi, 1920). Avec une exactitude scrupuleuse, il indique les lieux, les dates (il l'avait fait dès 1908, dans l'admirable texte intitulé Un matin (Aru asa). Quelques touches légères, des bribes de conversation, le croquis d'un animal ou d'un paysage : il ne s'est pour ainsi dire rien passé et déjà le récit s'achève. Il reflète un « état de l'âme », « un moment ».

Pendant longtemps certes, Shiga Naoya nourrit le rêve d'une grande œuvre. Plusieurs tentatives avortent avant qu'il ne puisse mener à bien la rédaction de cet unique « roman », An.ya-kōro (Cheminement dans les ténèbres), qu'il publie entre 1921 et 1937. Il se proposait d'y retracer l'itinéraire qu'il avait suivi depuis sa jeunesse. Le livre, salué de toutes parts comme un chef-d'œuvre, laisse pourtant une impression d'inégalité, et, à mesure qu'on approche de la fin, on y perçoit comme de la contrainte. À sa façon, il révélait les limites du « récit personnel ».

La figure de Shiga Naoya se détache du groupe de Shirakaba, dont il avait été l'un des principaux animateurs. Dans ses écrits comme dans sa vie, il évite les discussions sur la morale et la société qu'affectionnent ses amis. Il se refuse à toute déclaration humanitaire. Son travail fait songer à celui d'un peintre : la création artistique se réduit à la recherche d'une certaine qualité de lumière.

Son œuvre (dont une partie est accessible aux lecteurs français grâce aux traductions de M. Mécréant, réunies en volume sous le titre Le Samouraï) paraît mince.

Il ne se départit jamais de son attitude première, de sa modestie et de sa rigueur. Chaque phrase scintille d'un éclat léger. Vertus insignifiantes ? Elles expliquent sans doute l'autorité que, seul de sa génération, il exerça sur tant d'écrivains, des années vingt jusqu'à la veille de sa mort.

— Jean-Jacques ORIGAS

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Écrit par

  • : ancien élève de l'École normale supérieure, professeur à l'Institut national des langues et civilisations orientales de l'université de Paris-III-Sorbonne nouvelle

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  • JAPON (Arts et culture) - La littérature

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    • 22 458 mots
    • 2 médias
    ...Eux aussi avaient conscience d'être, avant tout, artistes. Cette intransigeance esthétique conduisit certains à éliminer la moindre trace de fiction. Shiga Naoya (1883-1971), en une prose dense et transparente, ne décrivait que des épisodes de sa propre vie – parfois si brefs qu'ils peuvent paraître...