SHINTŌ
Shintō et bouddhisme
On notera que, jusque-là, nous avons utilisé le terme de shintō pour désigner non pas un système religieux organisé, une « religion » au sens occidental, mais simplement un ensemble de croyances et de pratiques relatives aux kami. Telle est, en effet, la signification réelle d'un vocable qui, jusqu'au xixe siècle, n'était jamais employé que par référence au bouddhisme. Cela est vrai dès sa première apparition dans un texte : on lit dans le Nihon shoki, à la chronique du règne de l'empereur Yōmei (règne 586-587), que celui-ci « avait foi en la Loi du Bouddha (Buppō) et révérait la Voie des kami (shintō) ». Shintō
est donné pour la traduction, en chinois japonisé, de kami (-nagara no) michi, expression elle-même forgée pour distinguer les croyances autochtones de la « Voie du Bouddha », Butsudō ou Hotoke (no) michi. De ce texte, on a pu conclure un peu hâtivement que, dès le départ, la rencontre du bouddhisme et du shintō avait donné naissance à un syncrétisme original dont le bouddhisme, singulièrement plus tolérant aux « paganismes » que ne l'était le christianisme, se serait, au Japon du moins, accommodé sans difficulté. En fait, il n'en est rien, et de nombreux documents montrent clairement que des moines bouddhistes ont, à diverses époques, cherché à éliminer le culte des kami. Si ceux-ci ont survécu, ils le doivent en réalité à une politique délibérée, inaugurée par l'empereur Temmu (règne 672-686).L'empereur Yōmei, en effet, obéissant sans doute à des préoccupations analogues à celles des conseillers de Kimmei, qui malgré leur crainte d'irriter les divinités ancestrales avaient jugé bon de se concilier les Bouddha « que tous les pays de l'Ouest révèrent », semble avoir voulu tenir la balance égale entre les deux ordres de puissances surnaturelles ; mais certains souverains du viie siècle adoptèrent une attitude tout à fait différente. Le Nihon shoki nous apprend par exemple que l'empereur Kōtoku (règne 645-654) « méprisait la voie des kami » au point de faire abattre les arbres d'un bois sacré ; que l'impératrice Saimei (règne 655-661) agit de même afin, circonstance aggravante, de se procurer du bois de construction pour sa propre résidence. L'un et l'autre, et Tenchi-tennō (règne 662-671) après eux, font célébrer au Palais même de fréquentes et imposantes cérémonies bouddhiques, y installent une multitude de statues, s'entourent de moines, tandis que les allusions aux kami dans les textes officiels semblent n'être plus que de pure forme.
Temmu toutefois, dès son avènement en 672, renverse cette tendance. Fervent bouddhiste lui-même, constructeur de monastères, il n'en restaure pas moins les sanctuaires des kami, à commencer par le temple d'Ise dédié à la souveraine céleste, ancêtre de la dynastie, en même temps qu'il fixe, dans la forme qu'ils conserveront pendant des siècles, les rites shintō propres au Palais. Plus qu'à une simple prudence à l'égard de puissances que l'on sait irascibles, ces mesures répondent à la grande idée du règne, exprimée dans un édit de 682 ordonnant la rédaction de ce qui devait être le Kojiki : définir « les structures de l'État, les fondements de la Vertu royale » et, dans ce but, « vérifier et examiner les traditions, en effacer le faux et fixer le vrai et les transmettre ainsi aux siècles à venir ». Il s'agissait en somme d'établir de façon indiscutable la suprématie de la Maison du Yamato, fondée sur le droit divin que lui conférait son ascendance solaire. Laisser s'éteindre le culte des dieux garants de ces droits eût été, dans ces conditions, d'une suprême maladresse.
La sollicitude impériale ne s'étendit certes qu'aux sanctuaires importants, mais[...]
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Écrit par
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Classification
Médias
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