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SHINTŌ

Le shintō et l'idée de nation

Lorsqu'à la fin du xixe siècle les théoriciens de la restauration impériale voulurent doter le Japon d'une religion nationale à l'image de celles des pays occidentaux, ils s'efforcèrent de montrer que le shintō avait, de fondation, joué ce rôle dans l'Empire insulaire. Il fallait pour cela récrire l'histoire en minimisant le rôle du bouddhisme et en insistant sur la permanence du shintō, supposé un et immuable face à la dispersion de son prétendu rival. Mais si les divisions du premier en sectes multiples témoignent d'une pensée active et d'une recherche vivante, l'apparente unité du second était due à l'inexistence de toute structure de type ecclésiastique, à l'absence de toute doctrine concrète, si ce n'est précisément celle qui prétendait en faire une forme autochtone du bouddhisme, une sorte de révélation privilégiée réservée au Japon.

Tout cela était bien loin de la grande religion dont on voulait imposer l'idée, dont le Kojiki aurait été la Bible et le monarque le grand-prêtre, « dieu-humain visible » (ara-hito-gami), représentant sur terre de ses augustes aïeux. L'entreprise était cependant moins absurde que celle du « mythe du xxe siècle » de fâcheuse mémoire, avec qui elle présente certaines analogies, à première vue. Elle reposait en effet sur des mythes et des rites qui, pour avoir été négligés pendant des siècles, n'avaient jamais été formellement rejetés, et plus encore sur les croyances et les cultes populaires locaux, que le bouddhisme avait non seulement laissé subsister, mais aidé à se maintenir grâce aux interprétations syncrétistes.

Il convient d'ajouter à cela que, dès la fin du Moyen Âge, certains partisans du pouvoir impérial, contesté par les grands féodaux et menacé dans son existence même, avaient explicité la théorie du droit divin de la dynastie et de la nature transcendante de son pouvoir qui pouvait être délégué, mais non aliéné ; parallèlement naissait l'idée d'une identité nationale face au monde extérieur qui, avec les tentatives d'invasions mongoles à la fin du xiiie siècle, se révélait pour la première fois non plus seulement étranger, mais hostile. Or, dans aucun des deux cas, ce n'était le bouddhisme, système de pensée continental, universaliste, et niant par surcroît jusqu'à la réalité de ce monde, qui pouvait fournir une armature idéologique vraisemblable. L'on appela donc délibérément à la rescousse les « dieux du pays » : c'était à Ise que s'étaient levés les « vents divins » (kami-kaze) qui avaient dispersé la flotte mongole ; c'était d'eux aussi que venaient les trois regalia – le miroir, le sabre et le joyau – transmis de génération en génération et dont la possession fut reconnue comme la condition nécessaire et suffisante de la légitimité du souverain.

Cette idée est longuement développée dans un livre qui connut une fortune inattendue au xixe siècle, au point qu'il devint, avec le Kojiki, l'un des deux fondements du shintō national contemporain. Il s'agit du Jinnō shōtō-ki (Traité de la droite succession des dieux et des souverains), composé en 1339 par Kitabatake Chikafusa (1293-1354), conseiller puis ministre de la « cour du Sud » qui refusait de reconnaître l'anti-empereur « du Nord », intronisé à Kyōto par le shōgun Ashikaga. Ce pamphlet, rédigé sans documentation, au cours d'un voyage, dans un style sec et incisif, procédant par affirmations catégoriques, cet écrit de circonstance destiné simplement à soutenir les prétentions de la lignée « du Sud », apporte dans la formulation de la pensée politique et religieuse un ton tout à fait nouveau, moderne dans la mesure où il exprime le sens de l'unité nationale face aux pays étrangers d'une[...]

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Écrit par

  • : professeur à l'Institut national des langues et civilisations orientales

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Médias

Funérailles du mikado - crédits : Hulton Archive/ Getty Images

Funérailles du mikado

Prêtre shinto - crédits : Nicholas DeVore/ Stone/ Getty Images

Prêtre shinto

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