SHINTŌ
Le shintō politique
Ce mépris du bouddhisme, on le retrouvera chez les théoriciens officiels de l'État shōgunal des Tokugawa, et notamment chez Hayashi Razan (1583-1657), qui prône le retour au confucianisme : « Le confucianisme est vérité, le bouddhisme est mensonge ; entre mensonge et vérité, qui donc choisirait le mensonge et rejetterait la vérité ? » Quant au shintō, ils le présentent comme un approfondissement du confucianisme, répondant aux besoins particuliers du « pays des dieux ». Tokugawa Ieyasu toutefois, le fondateur de la dynastie, avait suivi une politique religieuse plus subtile, définie dans une formule d'une largeur d'esprit calculée : « Qui veut préserver l'Empire et l'État ne rejette aucune secte. » S'il avait, en 1609, fait reconstruire le temple d'Ise, il n'en dédaignait pas pour autant l'appui des sectes bouddhiques, des puissantes églises amidistes en particulier. Habileté et ambiguïté qui apparaissent jusque dans le nom posthume de cet homme d'État, devenu le « dieu protecteur des huit provinces de l'Est » : Tōshō-daigongen, le « Grand Gongen qui illumine l'Orient ».
Malgré, ou peut-être en raison de son pragmatisme, le gouvernement shōgunal finit cependant par apparaître comme le protecteur du bouddhisme : pour des raisons policières d'abord (détection des derniers chrétiens), puis administratives et fiscales, il avait été fait obligation à tous les membres des classes inférieures de se faire porter sur les registres d'une communauté bouddhique en qualité de « paroissiens ». Les sectes y trouvaient leur avantage par le « denier du culte » qu'elles étaient autorisées à percevoir sur leurs administrés et par le monopole des funérailles qu'elles exerçaient à leur encontre. Les conséquences de cette collusion avec le pouvoir furent catastrophiques pour le bouddhisme, dont elle contribua à stériliser l'esprit, et tout autant pour le pouvoir lui-même, en ce qu'elle incitait toutes les oppositions à se cristalliser dans une nouvelle idéologie appuyée sur le shintō.
L'usage des pèlerinages à Ise, pratiqués à l'origine par des confréries (Ise-kō) constituées sur le modèle bouddhique, fut à l'origine d'énormes déplacements de foules au cours des xviiie et xixe siècles : trois millions de pèlerins en 1705, deux en 1771, cinq en 1830. La plupart de ceux-ci pratiquaient le « pèlerinage à la dérobée » (nuke-mairi), qui consistait à quitter sa maison « sans prendre congé de femme ni enfants, de maître ni serviteurs », c'est-à-dire au mépris de tous les interdits sociaux ou légaux. C'était là, sans aucun doute, une réaction contre la rigidité des structures sociales, politiques et économiques, une contestation implicite du régime, qui préparait les esprits au renversement des Tokugawa et, du fait que le culte d'Ise en était le prétexte, assura une assise populaire à la restauration du pouvoir impérial.
Parallèlement se manifestèrent, de plus en plus nombreux, des sortes de prophètes, la plupart issus de milieux paysans, qui fondaient des sectes sur le modèle de celles du bouddhisme ; les doctrines qu'ils prêchaient leur étaient révélées par des kami souvent douteux, quand ils ne se proclamaient pas eux-mêmes des « kami-vivants » (iki-gami). Certaines de ces sectes, celles qui consentirent à ajuster leur doctrine aux impératifs du shintō officiel, bénéficièrent à la fin du siècle d'un statut privilégié ; ce sont les « treize sectes du shintō » qui, en 1967, revendiquaient 10 493 922 fidèles, dont 2 459 009 pour le seul Tenrikyō.
Il est fort probable que, sans ces mouvements populaires, les travaux des idéologues du néo-shintō seraient restés des exercices d'école. Les premiers d'entre eux se voulaient du reste de[...]
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Écrit par
- René SIEFFERT : professeur à l'Institut national des langues et civilisations orientales
Classification
Médias
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