Abonnez-vous à Universalis pour 1 euro

JAFFE SHIRLEY (1923-2016)

Shirley Jaffe, peintre américaine installée en France dès 1949, tient une place à part dans l’histoire de l’art de la deuxième moitié du xxe siècle. Elle a frayé une voie singulière dans le paysage complexe des abstractions.

Née le 2 octobre 1923 à Elizabeth (New Jersey), Shirley Sternstein découvre la peinture au lycée. Elle fréquente la Cooper Union School of Art (New York), dont elle sort diplômée en 1945, puis la Phillips Art School de Washington. Mais, davantage que l’enseignement reçu dans ces deux établissements, c’est la découverte de l’œuvre de Pierre Bonnard au Museum of Modern Art de New York, puis de celle de John Marin et Arthur Dove, deux pionniers de la peinture moderniste américaine, à la Phillips Collection, qui marque la jeune artiste. En 1949, elle suit à Paris son mari, le journaliste Irving Jaffe, titulaire d’une bourse d’études. Dès son arrivée, elle se lie d’amitié avec Jules Olitski qui lui fait découvrir le mouvement Cobra, ainsi qu’avec Sam Francis et Jean-Paul Riopelle, eux aussi installés en France, qui l’introduisent dans le milieu artistique parisien.

Jusqu’au début des années 1960, sa peinture, proche de l’expressionnisme abstrait, se caractérise par une pratique du all-over très dense, traité dans un coloris intense (Which in The World, 1957, Paris, Centre Georges-Pompidou). Dès cette époque, elle prend part à plusieurs expositions collectives et, en 1959, la galerie Klipstein & Kornfeld (Berne) organise sa première exposition personnelle.

Jaffe opère une rupture dans son travail à l’occasion d’un séjour berlinois en 1963-1964, peu après avoir vu une rétrospective des papiers découpés d’Henri Matisse au musée des Arts décoratifs (Paris, 1961). Lassée de l’étiquette de « paysagisme abstrait » appliquée à son œuvre par la critique, elle se montre davantage soucieuse de composition. Des formes, toujours traitées par larges coups de pinceau, apparaissent : lignes droites, cercles, triangles (Big Square, 1965, Bâle, Kunstmuseum). Peu à peu, elle introduit une géométrie plus stricte et l’aplat, dans une palette qui ne cesse de s’enrichir (Boulevard Montparnasse, 1968, Paris, Centre Georges-Pompidou, dépôt du CNAP). Puis, au cours des années 1970, elle libère le dessin, de moins en moins régulier : ondulations, sinuosités, rides, polygones, créneaux, dentelures, etc., qui dialoguent, grincent, s’opposent, se rongent, se rebiffent.

La maîtrise de la couleur, saisissante, lui permet de donner une « impulsion supplémentaire », comme elle l’explique dans un entretien avec Robert Kushner en 2003, au mouvement initialement produit par les formes et leur agencement. Par ces moyens plastiques, l’artiste est à la recherche de la vitalité (et non de la gaieté comme l’ont écrit de nombreux commentateurs), du potentiel de la vie, d’une tension : « La peinture n’a pas vraiment de raison d’être dépourvue de toute utilité pratique, si ce n’est cette impression de vie individuelle qu’elle peut transmettre... Les gens qui font des images doivent exprimer cela, essayer de trouver en eux-mêmes ce noyau vital » (citée par Merle Schipper dans Woman’s ArtJournal, automne-hiver 1981-1982). À partir de 1983, elle donne au blanc une place nouvelle, non pas celle d’un arrière-plan, mais celle d’une forme parfois séparatrice, parfois unificatrice.

Depuis les années 1960, ses tableaux portent quelque chose de l’énergie citadine, des changements perpétuels qui s’opèrent dans la ville contemporaine (Upside Down New York, 1974, coll. part. ; Traffic, 2007, coll. part.), mais aussi un dynamisme d’ordre musical. Jaffe s’intéresse également au dessin et à la gravure. En 1999, elle s’essaie au vitrail (chapelle Saint-Jean-l’Évangéliste, Perpignan). Après avoir été longtemps soutenue par le galeriste Jean Fournier, grand défenseur de l’abstraction française[...]

La suite de cet article est accessible aux abonnés

  • Des contenus variés, complets et fiables
  • Accessible sur tous les écrans
  • Pas de publicité

Découvrez nos offres

Déjà abonné ? Se connecter

Écrit par

  • : docteure en histoire de l'art contemporain, historienne de l'art, auteure

Classification