SHOAH, film de Claude Lanzmann
Peu d'années après la libération du camp d'Auschwitz, un premier film de fiction polonais, La Dernière Étape (Ostatni etap, 1948), de Wanda Jakubowska, avait retracé l'histoire d'une femme juive arrivant à Auschwitz et choisie comme interprète. Puis, en 1955, Nuit et brouillard d'Alain Resnais est devenu une référence durable sur l'Holocauste. Mais Shoah de Claude Lanzmann initie en 1985 un tournant radical dans l'histoire des représentations du génocide. Construit uniquement à partir de témoignages, le film exclut pratiquement tout recours à la fiction, reconstructions ou encore utilisation d'images d'archives, radicalisant plus encore le travail de documentariste qu'avait initié, en 1971, Marcel Ophüls dans Le Chagrin et la pitié pour éclairer la période de l'Occupation en France. Il se veut un outil d'élucidation. Mais comment représenter l'inimaginable ? Comment nommer l'indicible ? Seule ici la parole filmée tente de relater, avec parfois ses limites, la monstruosité du dispositif.
Né en 1925, Claude Lanzmann, philosophe de formation, puis journaliste collaborateur de Jean-Paul Sartre aux Temps modernes, réalise son premier documentaire, Pourquoi Israël ?,en 1972. Après Shoah, il revient sur la seule révolte de déportés réussie, à travers le témoignage d'un survivant : Sobibor, le 14 octobre 1943, 16 heures (2001).
La « solution finale »
Shoah est conçu comme une enquête en deux parties menée essentiellement sur les lieux du génocide du peuple juif par les nazis. La première partie montre le processus d'acheminement, les convois et l'arrivée aux camps. La seconde est consacrée au processus d'extermination.
Dix années de recherches et d'enquêtes, près de 350 heures de tournage ont été nécessaires pour réaliser ce film de plus de 9 h 20. L'enquête préparatoire a duré quatre ans dans quatorze pays, avant la dizaine de tournages, entre 1976 et 1981, sur les lieux mêmes du génocide. Le film regroupe les témoignages de juifs rescapés réquisitionnés par les sonderkommandos pour travailler dans les camps, mais aussi ceux de nazis acteurs de cette industrie de la mort et ceux de villageois voisins des camps de la mort, ici indifférents à la solution finale. Le réalisateur donne à voir des lieux désertés, dont certains aujourd'hui insignifiants (forêts, clairières...), où eurent lieu les débuts du processus d'extermination.
Le film s'ouvre sur une matinée calme dans la campagne polonaise. Un rescapé accompagné du réalisateur remonte le cours du temps dans une barque qui glisse doucement sur la rivière. La parole de ces témoins-survivants donne peu à peu à la figure de l'absence sa densité. Les différents interlocuteurs ne se rencontrent pas vraiment, mais chacun éclaire les propos de l'autre, par la médiation du réalisateur omniprésent. La caméra se fait subjective. Peu à peu, elle découvre les portes des camps de la mort (Auschwitz, Chelmno, Sobibor, Treblinka...). Les paroles des survivants résonnent d'une horreur insoutenable. Le film accompagne ces rotations de trains nuit et jour, ces wagons à bestiaux emportant au loin hommes, femmes, enfants hurlant de soif, de faim et de froid. Les passagers arrivent transis, exténués, souvent morts, avant d'être systématiquement triés et sélectionnés selon un rythme immuable, soit pour les chambres à gaz soit pour le travail forcé.
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Écrit par
- Kristian FEIGELSON : maître de conférences, sociologue à l'université de Paris-III-Sorbonne nouvelle
Classification
Média
Autres références
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LANZMANN CLAUDE (1925-2018)
- Écrit par Juliette SIMONT
- 1 173 mots
- 1 média
Né à Bois-Colombes le 27 novembre 1925, Claude Lanzmann, écrivain, cinéaste, intellectuel dans le siècle, directeur de la revue Les Temps modernes (fondée par Jean-Paul Sartre en 1945) est d'abord mondialement connu pour Shoah(1985), consacré à l'extermination des Juifs par le gaz...