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SHOAH

La genèse de l'extermination

Comment une entreprise criminelle aussi gigantesque vint-elle au jour ? Sur ce point, nos connaissances sont relativement moins assurées, faute de documents qui puissent nous éclairer sur la date de la décision et sur les arrière-plans de celle-ci. Les historiens ne s'accordent pas sur la datation, les uns situant la décision fatale au printemps de 1941, les autres à l'automne, voire à la fin de cette même année 1941. S'ils n'ont pas de doute sur la responsabilité ultime de Hitler, ils hésitent sur la nature de la décision qu'il prit. Fut-elle préméditée ou improvisée ? Fut-ce la traduction en actes de l'intention d'un homme ou l'aboutissement d'une radicalisation produite par les circonstances ? Pendant plusieurs décennies, l'opinion dominante privilégia la première interprétation. Depuis un certain nombre d'années, la seconde trouve de plus en plus de faveur. Il est vrai qu'il est difficile de documenter l'existence d'un programme d'extermination chez Hitler. Ses écrits et ses propos exhalent, certes, la haine la plus féroce des juifs ; mais il est malaisé de prouver que l'extermination fut, chez lui, un objectif politique arrêté dès les années 1920, au même titre que la conquête de l'espace vital, par exemple. Tout indique plutôt que sa préoccupation centrale était d'éloigner les juifs de la sphère d'influence allemande ; c'est effectivement la politique que suivit son régime jusqu'en 1941.

Jusqu'à cette date, en effet, la politique du IIIe Reich visa à faire émigrer les juifs. Les nazis usèrent d'abord de moyens indirects pour accélérer leur départ, puis en 1938-1939 passèrent à une politique d'émigration forcée, qui s'accompagna de la confiscation de la plus grande partie de leurs biens. À ce moment-là, voyant que le « problème juif » allait être résolu en Allemagne, Hitler manifesta l'intention de trouver également une solution à l'échelle continentale ; son idée était de regrouper les juifs d'Europe sur un territoire qui leur servirait de « réserve ». La guerre étant survenue, qui rendait l'émigration plus difficile, et les victoires du Führer agrandissant le nombre de juifs sous sa domination, il envisagea de créer une « réserve » sur un territoire périphérique : d'abord en Europe même dans la région polonaise de Lublin, puis, après la défaite de la France, outre-mer, dans la colonie de Madagascar. La concentration de la population juive d'Europe sur l'un de ces territoires aurait entraîné une décimation considérable ; cette solution n'en était pas moins différente, par sa nature, de l'extermination.

En se lançant dans l'extermination à partir de 1941, le régime nazi franchit incontestablement un seuil. L'éloignement des juifs allait désormais se faire sous la forme de leur suppression physique. D'une façon ou d'une autre, ce changement fut lié à la campagne contre l' U.R.S.S., vraisemblablement à la tournure inattendue qu'elle prit. Au lieu de se terminer en quelques mois, comme les dirigeants nazis l'avaient escompté, les combats se prolongeaient. En menaçant de se poursuivre par-delà l'hiver, ils portaient le risque majeur d'une guerre longue, dont le Reich ne pourrait sortir qu'affaibli, sinon défait. Il semble bien, car ce point demeure objet de discussion pour les historiens, que tel fut le contexte dans lequel Hitler se décida à exterminer les juifs ; il avait toujours vu en eux ses adversaires fondamentaux, il les tenait pour les responsables ultimes de la situation dans laquelle il se trouvait.

On ne peut soutenir pour autant que cette décision fut improvisée, qu'elle n'aurait été qu'une réaction impulsive à un échec qui se profilait. Hitler avait annoncé,[...]

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Écrit par

  • : professeur d'histoire à l'Institut de hautes études internationales, Genève (Suisse)

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Médias

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Découverte des camps de concentration, 1945

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