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SHŌGUN (R. Kondo et J. Marks)

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La série télévisée Shōgun, créée par Rachel Kondo et Justin Marks, a été diffusée en 2024 sur la chaîne du câble américain FX, en association avec la plateforme de streaming Hulu, et à l’international sur Disney +. Il s’agit d’une œuvre aux multiples strates, adaptée du roman historique de l’écrivain et scénariste britannique James Clavell paru en 1975.

Shōgun évoque le Japon féodal du début du xviie siècle tel que le perçoit initialement le personnage de John Blackthorne (Cosmo Jarvis), marin anglais et protestant dont le navire marchand néerlandais fait naufrage après avoir traversé le détroit de Magellan. Emprisonné et promis à une mort certaine, Blackthorne devient toutefois une arme dans la lutte de pouvoir opposant Yoshii Toranaga (Hiroyuki Sanada), seigneur de guerre de la région du Kantō, aux quatre autres membres du Conseil des régents, qui craignent tous que l’un d’eux ne revendique le titre de shōgun, soit de chef militaire suprême du Japon. À Osaka, le décès de l’empereur entraîne en effet une guerre de succession, son héritier étant trop jeune pour gouverner. Pour sa survie, Blackthorne s’immisce dans cet antagonisme en révélant à Toranaga que les catholiques portugais commercent secrètement avec le Japon depuis plusieurs décennies. Afin de monter les protestants européens contre les jésuites et leurs alliés, le marin s’appuie sur Mariko (Anna Sawai), une Japonaise convertie au christianisme qui devient sa traductrice et sa confidente.

Déjà adapté en minisérie en 1980, le récit de Clavell a été repris par Rachel Kondo et Justin Marks pour la série dont la genèse des dix épisodes (d’une heure environ) s’est avérée laborieuse, nécessitant une décennie d’ébauches, de négociations et de replanifications, sans compter le déplacement du tournage du Japon au Canada (à Vancouver et dans ses environs). Mais tous ces efforts ont fini par payer, cette nouvelle version de Shōgun devenant la première production en langue étrangère à obtenir le prix de la meilleure série dramatique aux Emmy Awards de 2024. Elle a également été très bien reçue au Japon, sensible aux efforts des créateurs de la série de ne pas centrer le point de vue uniquement sur Blackthorne, qui se fond progressivement dans la culture japonaise. Forte de ce succès, Shōgun, bien que conçue comme une minisérie, a été renouvelée pour deux saisons additionnelles, en accord avec Michaela Clavell, la fille de l’écrivain.

Une érotique de la traduction

Ce qu’on a coutume d’appeler la « barrière de la langue » est l’une des forces de cette adaptation. Le public américain ayant peu d’appétence pour le sous-titrage de langues étrangères, il est assez remarquable qu’une majorité des dialogues de Shōgun soit énoncée en japonais. Cette initiative doit beaucoup à l’audace de la chaîne FX et de son président, John Landgraf, bien qu’une concession soit tout de même à relever : les dialogues censément portugais de la série sont prononcés en anglais. Il reste que Shōgun possède de nombreux atours (langue, acteurs, costumes, accessoires) d’une production japonaise tournée pour le câble américain, dans la lignée des séries étrangères de HBO, à l’instar de L’Amie prodigieuse (2018-2024).

Dans Shōgun, la question de la traduction trouve un écho dans le récit lui-même : en se voyant confier une interprète, Blackthorne se familiarise peu à peu avec le japonais tout en s’amusant à insulter ses interlocuteurs dans sa propre langue. Dans son rôle de traductrice, la place de Mariko s’avère aussi centrale que révélatrice : il lui arrive de s’écarter volontairement de la déclaration originale, voire de refuser de la traduire quand elle la sait inconvenante. À d’autres moments, la traduction peut servir à révéler les sentiments enfouis de Mariko, ce qui produit une érotique de l’interprétation des plus équivoques. D’autant que[...]

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Écrit par

  • : docteur en études cinématographiques et audiovisuelles, chargé de cours à l'université de Lille

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