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SHŌGUN (R. Kondo et J. Marks)

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L’art de la guerre

Tout en recourant à des ressorts dramatiques destinés à exacerber la tension, la série fait preuve d’un grand réalisme à plus d’un titre. Blackthorne passe toute la première saison à apprendre des rudiments, puis des bases correctes de japonais. En dix heures de fiction, on le voit s’acclimater à une culture étrangère tout en restant fidèle à ses racines londoniennes et à son goût de la provocation. C’est que Shōgun repousse autant que possible les invitations au manichéisme : plutôt que d’afficher clairement leurs intentions, les protagonistes se montrent longtemps insondables, calculateurs, voire versatiles. L’art de la guerre dépeint avec minutie par la série se nourrit allègrement de cette indiscernabilité, terreau de manœuvres politiques aussi subtiles qu’inattendues. Multiples sont les règles et les rites féodaux qui orientent le cours du récit tout en éclairant les traditions passées : du vote relatif à la potentielle destitution d’un démissionnaire au retardement d’une échéance dû au respect d’un deuil de quarante-neuf jours.

Ces luttes d’influence ne suffisent pas toujours à éloigner les seigneurs de guerre et leurs troupes des champs de bataille. À la manière de Game of Thrones (2011-2019), mais sans verser dans la fantasy, Shōgun ménage parfois de spectaculaires scènes de combats dont l’esthétique rappelle notamment Kagemusha. L’ombre du guerrier (1980) et Ran (1985) d’Akira Kurosawa. Le réalisme de ces affrontements est renforcé par un rejet quasi constant du deus ex machina : bien souvent, une mort annoncée se révèle inéluctable, même quand elle se voit un temps repoussée. Dans Shōgun, l’issue d’un combat disproportionné est généralement connue d’avance.

Pour pallier ces inégalités, il reste le pouvoir des mots : ceux que nous apprenons en même temps que Blackthorne durant son long apprentissage (shukumei pour « karma », seppuku pour « hara-kiri », etc.), ceux des haïkus que s’échangent Mariko et Toranaga, ou ceux des considérations existentialistes dont nous gratifie régulièrement la série (« Si vous n’aspirez qu’à la liberté, vous resterez prisonnier de vous-même »). D’abord considéré comme un barbare et un hérétique, Blackthorne se fait progressivement le disciple de cette vision méditative du monde à laquelle il semblait d’abord réfractaire.

— Benjamin CAMPION

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Écrit par

  • : docteur en études cinématographiques et audiovisuelles, chargé de cours à l'université de Lille

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