SHUI HU ZHUAN [CHOUEI HOU TCHOUAN]
Philosophie du « Shui hu zhuan »
Cette connivence avec les ennemis des lois au nom d'un idéal moral se retrouve dans le roman : il présente ces repris de justice comme les champions d'une justice plus juste ou les victimes d'un ordre social qui écrase le faible. S'ils embrassent la vie dure et dangereuse du maquis, c'est contraints et forcés par des malheurs indépendants de leur volonté, et souvent par les abus du gouvernement et des puissants.
Certains sont des meurtriers, mais leurs crimes ne sont pas crapuleux. Ils ont tué accidentellement, ou pour sauver la vie d'amis en danger de mort, ou par ces vendettas de famille que la coutume tolère mais que réprouve la loi. D'autres sont innocents, comme l'officier modèle Lin Chong, dont la femme est convoitée par le fils d'un ministre : pour cette seule raison, le mari sera attiré dans un piège, condamné aux travaux forcés, et par deux fois il échappe de peu aux tueurs à gages du ministre chargés de le « liquider ». De même les frères Xue, chasseurs de leur métier, qu'un châtelain fait bâtonner et mettre en prison parce qu'il s'est approprié leur gibier et qu'ils protestent. Une fois pris dans l'engrenage de la répression et de l'évasion aidée par la Bande, quel choix reste-t-il aux uns et aux autres, sinon de prendre la route des monts Liang ? Les juges et les préfets qui les persécutent sont cruels, vénaux et prévaricateurs, toujours prêts à acquitter le coupable et à livrer l'innocent au bourreau moyennant finances. Les proches collaborateurs de l'empereur sacrifient les intérêts du pays à leur ambition et à leur avarice. La Bande leur reproche de tromper leur maître, qu'elle ne conteste pas lui-même et auquel elle affirme son constant loyalisme. Mais au-delà de ce respect superficiel pour l'institution impériale, le roman décrit le souverain – c'est Song Huizong, l'un des plus célèbres peintres chinois – comme faible, crédule et frivole.
Le Shui hu zhuan est donc un roman de contestation politique et de critique sociale, une apologie de la subversion ; il n'est pas étonnant dès lors qu'il ait été mis à l'index par le gouvernement dès le xviie siècle, et que les révolutionnaires de diverses époques l'aient pris comme livre de chevet.
Lorsque Mao Zedong, établi dans les montagnes du Jiangxi puis à Yan'an avec les « rebelles » qui se rassemblaient autour de lui, défiait l'administration et les armées de Tchiang Kai-chek, ne revivait-il pas en quelque sorte l'aventure de Song Jiang ? Le Shui hu zhuan, dont ses compagnons tiraient sur ses conseils maintes pièces de théâtre politiques, était à ses yeux un moyen efficace d'amener les masses à prendre mieux conscience des combats à livrer, des vices et des points faibles du système à abattre ; pour lui, la révolte des bandits d'honneur des monts Liang préfigure et inspire la lutte révolutionnaire des maoïstes contre l'impérialisme, le féodalisme et leurs alliés.
Mais le souci essentiel du Shui hu zhuan n'est pas politique. On n'y trouve pas de ces divisions sommaires de l'humanité en bons et en méchants qui facilitent l'action. Il ne prend pas parti pour les bandits au point d'ignorer leurs faiblesses, ni contre leurs ennemis au point de leur montrer de la haine. À côté des oppresseurs, il met en scène tel riche notable qui protège les gens en marge de la société, à l'instar des chefs de sociétés secrètes dans la Chine d'hier et d'avant-hier. Certains scribes de tribunal et geôliers aident les hors-la-loi et prennent de grands risques pour leur sauver la vie. Quant aux mandarins eux-mêmes, qui ne montrent aucun sentiment humain, et sont donc pires que les bandits, le roman semble trouver leurs faits et gestes tout naturels, et les décrit sans passion, avec une objectivité quasi zoologique.[...]
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Écrit par
- Robert RUHLMANN : ancien élève de l'École normale supérieure, agrégé de lettres, professeur de chinois à l'Institut national des langues et civilisations orientales, université de Paris-III
Classification
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