CHERKASSKY SHURA (1909-1995)
Dernier représentant d'une génération de pianistes russes émigrés aux États-Unis après la révolution soviétique et qui avaient été formés dans la grande tradition du piano russe, Alexander (dont Shura est le diminutif) Isaakovitch Cherkassky naît à Odessa le 7 octobre 1909. Il commence à étudier le piano avec sa mère, professeur au Conservatoire de Saint-Pétersbourg, et donne son premier concert public en Russie à l'âge de onze ans, avant d'émigrer aux États-Unis en 1923, où sa famille se fixe à Baltimore. Il n'a pas quatorze ans lorsqu'il fait ses débuts américains avec l'Orchestre symphonique de New York sous la direction de Walter Damrosch. Il joue à la Maison-Blanche, devant le président Hoover, en 1923. Sa mère l'inscrit au Curtis Institute of Music de Philadelphie, où il est confié au célèbre Josef Hofmann, un des disciples d'Anton Rubinstein. En 1928, il fait sa première tournée à l'étranger, avec des étapes en Australie et en Nouvelle-Zélande. En 1929 et en 1931, il joue en Afrique du Sud, en 1935 en Asie et en Europe ; en 1936, il effectue des débuts londoniens très remarqués. Après la guerre, il accomplit une importante tournée en Europe (1946) et joue dès lors dans les grands centres musicaux du monde entier, notamment au festival de Salzbourg, qui l'accueillera régulièrement. En 1963, il entreprend un tour du monde. En 1976, il retourne en Russie pour une série de concerts triomphaux. Il y reviendra en 1977 et en 1987. Une bourse est fondée en son honneur à New York, la Shura Cherkassky Recital Award, décernée chaque année, depuis 1986, à un jeune pianiste de talent. Doté d'une étonnante vitalité, il continue à se produire en public jusqu'à sa mort, à Londres, le 27 décembre 1995.
Son étonnante technique, son sens musical intériorisé et son tempérament romantique faisaient de lui un représentant typique de l'école de piano russe, au même titre que Serge Rachmaninov, Josef Lhevinne ou Vladimir Horowitz. Il excellait naturellement dans la musique romantique et avait construit son répertoire autour de Chopin et de Liszt. Mais il abordait aussi volontiers les grands classiques que la musique de son temps. Ainsi, en 1989, il présentait à Carnegie Hall un récital au programme duquel la Sonate d'Alban Berg et le Klavierstück IX de Stockhausen étaient entourés d'œuvres de Haendel, de Weber et de Chopin. En 1993, il donnait le Concerto en fa de Gershwin au Promenade Concerts de Londres. Il continuait à jouer les pièces de charme ou de virtuosité typiques de la fin du xixe siècle tout en découvrant Messiaen et Boulez.
Cherkassky était doté d'un pouvoir de conviction rare. Sa technique ne suscitait jamais l'admiration en elle-même mais pour l'usage qu'il en faisait, au service d'une approche pianistique résolument engagée. Toute recherche de l'authenticité n'était pour lui que manque d'authenticité, car elle bridait la spontanéité de l'inspiration. Loin de la régularité métronomique immuable des jeunes pianistes de la fin du xxe siècle, il cultivait les fluctuations de tempo comme un élément expressif. Il pouvait aussi bien tirer des couleurs insoupçonnées des partitions les plus pâles que faire d'un nocturne de Chopin un bijou d'une rare élégance. Il possédait notamment un don unique pour faire chanter les phrases musicales en donnant l'illusion d'une phrase soutenue, quel que soit le registre. Son inspiration capricieuse le situait en dehors de toute classification, et les véritables amateurs de piano étaient à l'affût de ses concerts, car ils savaient que Cherkassky les surprendrait toujours, en grand magicien du clavier. La France a tardé à reconnaître en lui l'un des grands pianistes du xxe siècle, sans en faire jamais une vedette. Il avait donné son dernier[...]
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Écrit par
- Alain PÂRIS : chef d'orchestre, musicologue, producteur à Radio-France
Classification
Média