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SI PAR UNE NUIT D'HIVER UN VOYAGEUR, Italo Calvino Fiche de lecture

Dans un récit vertigineux qui termine Temps zéro (1967) l'écrivain italien Italo Calvino (1923-1985) assimile « une série de plans » du château d'If où se morfond Edmond Dantès, le héros du Comte de Monte-Cristo, avec « les pages d'un manuscrit sur le secrétaire d'un romancier ». Les chapitres empilés, redécoupés, recollés qui fixent l'écriture dans son résultat matériel peuvent simuler une prison dans leur entassement, mais ils sont en réalité une issue pour le prisonnier. Déjà se dessine la structure de Si par une nuit d'hiver un voyageur, qui connut un grand succès lors de sa parution en 1979.

Un livre infini

L'ouvrage commence par une invocation au « Lecteur », qui n'est pas sans rappeler, malgré les différences de ton, tantôt les « appels à la bienveillance » de certaines dédicaces du xviiie siècle, tantôt Les Chants de Maldoror « Tu vas commencer le nouveau roman d'Italo Calvino, Si par une nuit d'hiver un voyageur. Détends-toi. Concentre-toi. Écarte de toi toute autre pensée. Laisse le monde qui t'entoure s'estomper dans le vague. » Mais cette invocation, ici, commande toute la mise en place : onze débuts de romans sont introduits par autant de chapitres où le lecteur se voit averti, conseillé, morigéné, fouillé dans sa « physiologie » et sa psychologie et, à mi-course, d'autant plus impliqué dans le « Livre » introuvable, que Calvino décide qu'il est amoureux (d'une Lectrice, bien entendu) : leurs corps seront par eux-mêmes, le cas échéant, des objets favoris (mais non exclusifs) de lecture. La littérature, déjà tellement abondante, sur l'« écriture » se voit amenée à son exhaustion : la littérature sur la lecture – ou, mieux, dévorée par la lecture – en une opération prévisible mais aux méandres imprévus, et rendue « visible » par la structure même du livre.

Chaque début de chapitre représente en effet l'amorce d'un livre impossible à continuer. C'est aussi à chaque fois un pastiche de catégorie romanesque : roman d'espionnage dans le brouillard, roman russe « sordide », journal d'exilé politique, roman scabreux sur fond de guerre civile, thriller d'une vulgarité outrée, dissertation sur le jogging et le téléphone dans un campus américain, roman érotique japonais, drame mexicain, et derechef roman russe (mais à dominante onirique). Sans oublier la confession d'un milliardaire passionné de catoptrique, qui joue sur les deux sens du mot spéculation et propose au passage une théorie du capitalisme comme machinerie de miroirs. Tous ces récits, à partir du deuxième, sont rédigés à la première personne, agrémentés de violence et parfois de sexe. Bref, ce sont des « romans modernes ». De l'un à l'autre se glissent de fausses négligences : un nom propre désigne un quidam dans tel début de chapitre, une fabrique d'armes dans un autre. Mais Calvino assure des relances plus fortes, pour une prolifération plus étendue de l'acte d'écrire ; ainsi la Lectrice possède un double néfaste et évanescent (sa sœur) et exerce une activité ambiguë de traductrice pour le compte d'un escroc nommé Hermès Marana, lequel à son tour travaille et ne travaille pas pour une organisation mondiale de lecture apocryphe, qui plagie et répand de faux Silas Flannery. Silas Flannery est un prolifique auteur de romans policiers qui habite la Suisse comme J. H. Chase, et semble à court d'inspiration malgré les innombrables volumes publiés sous son nom.

Mais ce n'est pas tout ! À travers des allusions plus ou moins sarcastiques, à peu près tous les accidents qui peuvent survenir à un texte imprimé et broché sont évoqués, créant chaque fois de nouvelles difficultés pour sa réapparition. Comme l'a bien vu Cristina Benussi, c'est là aussi un moyen, pour Italo[...]

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