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SIDO (Colette) Fiche de lecture

Apprendre à nommer le monde

Ce n'est pas seulement par commodité que ces trois évocations familiales sont réunies sous le titre générique Sido. Même lorsqu'il est question du père ou des frères, c'est bien en effet la figure de la mère qui est au centre du livre et qu'il s'agit de célébrer (« Je la chante, de mon mieux »), comme on ferait pour une divinité. Car c'est tout l'art de Colette ici que de parvenir à exhausser le minuscule univers de la famille et du quartier où, au fond, il ne se passe rien d'autre que la lente et tranquille succession des jours, à la hauteur d'un véritable panthéon (qui serait aussi un éden). Mais un panthéon familier, comme le suggère l'usage des surnoms pour désigner ses membres, dans un double mouvement à la fois vers l'intimité et vers la mythologie. Cette dialectique de l'infiniment petit et de l'infiniment grand, de l'enracinement local et du déploiement cosmique est au cœur du livre. Le jardin est un microcosme dont il est au fond inutile de sortir, puisque le « Grand Tout » est déjà là, offert à qui sait voir. Les échappées sont donc rares et au fond anecdotiques – de modestes randonnées de la petite Gabrielle sur les sentiers environnants, quelques brefs et rares séjours de Sido à Paris ou Auxerre, une partie de campagne familiale...

Omniprésence tutélaire de la mère, donc, la grande initiatrice, celle qui apprend à regarder et à nommer au plus près le réel, qui sait capter, interpréter et transmettre le « chant du monde », pour reprendre le titre du livre de Giono. Mais complicité aussi, plus complexe, avec le capitaine, père absent par timidité, mari effacé par admiration, « héros » militaire méconnu par discrétion, homme d'une « incorrigible gaieté » par politesse, poète raté qui s'en remet au jugement sévère de sa jeune enfant, laquelle lui administre cette sentence définitive qui vaut art poétique avant l'heure : « Écoute ça, me disait mon père. J'écoutais, sévère. Il s'agissait d'un beau morceau de prose oratoire, ou d'une ode, vers faciles, fastueux par le rythme, par la rime, sonores comme un orage de montagne... – Hein ? Interrogeait mon père. Je crois que cette fois-ci !... Eh bien, parle ! Je hochais ma tête et mes nattes blondes, mon front trop grand pour être aimable et mon petit menton en bille, et je laissais tomber mon blâme : – Toujours trop d'adjectifs ! »

On devine que de ces deux influences, l'une explicite et repérable dans ce « souci de l'expression » (Nicole Houssa), l'autre plus sourde et diffuse (mais c'est bien au père qu'elle empruntera son nom d'écrivaine), est née la vocation littéraire de l'auteure. Une vocation dont il n'est jamais ouvertement question iciet que l'on voit naître pourtant à tout instant, dans cette prose solaire immédiatement reconnaissable, ce style à la fois souple et contenu (dont les manuscrits révèlent l'usinage sans fin, ce lexique riche et précis (goût des mots rares, savants, et surtout... justes), ce lyrisme retenu. Autant de traits où l'on retrouve la « leçon » de Sido.

— Guy BELZANE

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