SIÈCLE D'OR (mise en scène C. Schiaretti)
Commencé en 1556 avec l'accession au trône de Philippe II qui hérite de son père Charles Quint un immense empire, le Siècle d'or espagnol s'achève en 1659 quand s'affirme la prédominance française en Europe. Il constitue l'une des périodes les plus importantes et les plus riches de l'histoire de la scène occidentale. Représenté à ciel ouvert sur des tréteaux dressés dans les corrales, ce théâtre s'adresse aussi bien à l'aristocratie et aux notables installés sur les gradins qu'au peuple rassemblé au parterre. Il repose sur un triple principe : l'adhésion au catholicisme que partage l'ensemble de la société espagnole, le respect d'une loi, laquelle répond à un ordre voulu par Dieu qui assigne à chacun sa place, et la fidélité au roi qui protège chacun contre les abus, les petits contre les grands. De Guillén de Castro à Ruiz de Alarcón, en passant par Calderón et Torres Naharro, ses auteurs appartiennent pour le plus grand nombre, peu ou prou, à l'Église. Ils laissent derrière eux une œuvre foisonnante. À lui seul, Lope de Vega aurait signé quelque mille cinq cents comedias, dont un tiers seulement a été recensé !
En France, ce théâtre reste peu représenté. En dehors d'un Camus adaptant La Dévotion à la Croix, d'un Vilar mettant en scène L'Alcade de Zalaméa en pleine guerre d'Algérie, ou de la reprise régulière de La vie est un songe et des Autosacramentales de Calderón, il demeure mal connu au pays du classicisme.
On n'en apprécie que mieux l'initiative de Christian Schiaretti de le ramener à la lumière de la scène à travers un diptyque créé en 2011 à Villeurbanne, au Théâtre national populaire qu'il dirige. Sous le titre générique de Siècle d'or, il réunit deux pièces écrites à près d'un siècle et demi d'écart : La Célestine de Fernando de Rojas et Don Juan de Tirso de Molina.
La première, datée de 1502, décrit les heurs et malheurs d'une vieille maquerelle et des jeunes amants qui lui ont confié leur amour. Destinée à être lue, et non à être représentée (elle s'étend sur 21 actes), elle annonce plus le Siècle d'or qu'elle ne lui appartient, clôturant un Moyen Âge dont son écriture est encore imprégnée. La seconde, publiée en 1630, raconte le destin funeste d'un gentilhomme séduisant les femmes pour aussitôt les abandonner.
Reste que de l'une à l'autre, c'est bien d'une même Espagne dont il est question. Sortie de la Reconquista pour entrer dans les temps modernes. Placée sous le double signe de la prospérité que lui apportent ses colonies et d'une décadence annoncée. En butte à une mutation bousculant les repères, alors qu'à l'instauration d'un nouvel ordre s'oppose la nostalgie de la tradition. Dominée enfin par une Église, pilier d'un royaume « très catholique », qui, pour s'être toujours méfiée du théâtre, sait l'utiliser à des fins d'édification.
Dans un premier temps, ces deux œuvres semblent ne s'apparenter qu'à une peinture des mœurs, sur fond d'amoralité, de cynisme, de jouissance brute... Très vite, pourtant, le tableau se révèle une description sans complaisance de la société et du monde, en même temps que surgissent les thèmes de la grâce et du salut, du péché et de la damnation. À l'étalage des turpitudes succède l'angoisse de l'homme face à sa condition.
Ce sont ces thèmes et ces interrogations que Christian Schiaretti met en relief au fil de ces deux mises en scène représentées dans un espace unique : un simple et long plateau traversant la salle pour diviser les spectateurs en deux groupes qui se font face. Pas d'effets de décor. Peu de jeux de lumières. Ce qui importe, c'est la parole, profonde et grave, traduite, aussi bien dans [...]
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Écrit par
- Didier MÉREUZE
: journaliste, responsable de la rubrique théâtrale à
La Croix
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