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KRACAUER SIEGFRIED (1889-1966)

Tardivement connue en France, bien que la traduction française par Clara Malraux de son roman Ginster (1928, Genêt) soit parue dès 1933, l'œuvre de Siegfried Kracauer a été profondément marquée par les grands bouleversements du xxe siècle. Figure de proue de la République de Weimar, cet intellectuel atypique, incarne, dès l'arrivée de Hitler au pouvoir, le destin des intellectuels juifs-allemands condamnés à l'exil. Il a croisé et influencé tous les grands courants de pensée de son époque.

Siegfried Kracauer a laissé deux romans autobiographiques qui fourmillent de détails sur les étapes de son itinéraire intellectuel (Ginster et Georg, achevé en 1934, publié en 1973). Né à Francfort dans une famille juive de la petite-bourgeoisie, après des études d'architecture et un bref passage dans un cabinet d'architecte, il s'intéresse surtout à la philosophie et à la sociologie, et fréquente l'intelligentsia qui a déjà un nom (Georg Simmel, Martin Buber, Franz Rosenzweig, Max Scheler, Ernst Bloch) et celle qui ne va pas tarder à s'en faire un (Hannah Arendt, Günther Anders, Theodor W. Adorno, Walter Benjamin).

La Première Guerre mondiale marque la rupture initiale dans la vie et la pensée de Kracauer. Porté par le patriotisme ambiant, il cherche à se faire enrôler. En lui faisant découvrir « ses forces intérieures », la guerre va être pour lui le lieu d'une expérience quasi religieuse. Cette quête spirituelle va façonner le cheminement philosophique et politique de Kracauer dans les années suivantes, marquées par les traumatismes de la naissance de la République dans la honte nationale, la révolution avortée, les ravages de la crise économique et la révolte expressionniste. Kracauer se rapproche du « Freies Jüdisches Lehrhaus » dirigé par Martin Buber et Franz Rosenzweig, avec lesquels il rompra en 1926, après avoir publié une critique impitoyable de leur traduction de la Bible.

Intellectuel nomade, Kracauer est proche de Max Weber, de Georg Lukács et d'Ernst Bloch sans toutefois adhérer à la pensée d'aucun d'eux. Il veut rester « en attente ». Il éprouve, en revanche, une fascination grandissante pour le marxisme, dans lequel il décèle, derrière le matérialisme, une dimension spirituelle. En 1921, Kracauer entre à la Frankfurter Zeitung, dont il prend la direction des pages culturelles en 1924. Critique d'art et de littérature d'obédience marxiste, il fait figure d'outsider dans ce quotidien libéral de gauche. Fasciné par la montée en puissance de Berlin qui en 1920 devient le Grossberlin en annexant huit villes de sa proche banlieue, il explore, dans ses articles, le paysage urbain, traque les signes de la modernité et de la « nouvelle objectivité » qui s'affiche sur les immeubles des quartiers neufs. Comme Franz Hessel et Walter Benjamin, il s'attache au détail qui fait sens. C'est au cours de cette période qu'il rédige ses essais sur la photographie, la culture de masse, le roman policier (Le Roman policier. Un traité philosophique, 1981), son premier roman (sous un pseudonyme) et les miniatures sur Berlin qui ne seront publiées qu'en 1964 (Strassen in Berlin und anderswo, trad. franç. Rues de Berlin et d'ailleurs, 1995).

L'année 1930 marque une nouvelle rupture dans l'itinéraire de Kracauer. Alors qu'il publie son « reportage sociologique », Die Angestellten. Aus dem neuesten Deutschland (1930, trad. franç. Les Employés. Aperçu sur la nouvelle Allemagne, 2000), la direction du journal l'écarte de la rédaction en lui confiant la direction du bureau de Berlin. Sa posture marxiste ne convient plus à la nouvelle ligne éditoriale du quotidien, soucieuse de ne pas déplaire à sa clientèle bourgeoise libérale séduite par le discours nationaliste du parti nazi.

En 1933, Kracauer s'exile en France où il ne[...]

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Écrit par

  • : directrice de l'association Les Amis du roi des Aulnes, traductrice

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