SIEGFRIED (R. Wagner)

De l'ombre à la lumière

Siegfried, qui s'achève sur un solaire duo d'amour, constitue un intermède heureux dans la marche inexorable qui mène implacablement des doubles fautes originelles de Wotan et d'Alberich au crépuscule des dieux. Des sombres grottes de Mime et de Fafner, au rocher de Brünnhilde, le drame musical est d'ailleurs tout entier sous-tendu par l'image sonore et visuelle d'une accession à la lumière : en dépit des inquiétantes prophéties d'Erda et de l'échec suicidaire de Wotan, et grâce à la représentation de l'amour radieux qui naît entre ces deux héros apparemment libres de toute contrainte, l'issue du drame reste un instant en suspens. Wagner y allie le merveilleux du récit initiatique légendaire universel – éducation du héros, confrontation avec le monstre, libération de la vierge endormie –, au pittoresque de la mythologie germanique – murmures de la forêt et dialogue avec l'oiseau-oracle –, mais aussi à la psychologie la plus fine, la plus novatrice. Le parcours psychologique et même psychanalytique de Siegfried illustre à merveille les futures théories freudiennes sur la sexualité. Ce personnage de Siegfried, force vive s'épanouissant en conformité avec la Nature et n'ayant pas conscience de son destin, reste néanmoins fortement ambigu du point de vue de la philosophie de l'histoire et prêtera le flanc à de nombreuses récupérations idéologiques. Si, pour George Bernard Shaw, il représente l'anarchiste qui vient délivrer de l'Église et de la Loi perverties par le compromis, Siegfried devient rapidement le symbole par excellence du héros germain, cette « brute blonde » que certains, mauvais lecteurs de Nietzsche, ont pris pour l'archétype salvateur du Surhomme amené à faire vaciller la civilisation sur ses bases. Il est vrai que les prouesses vocales et physiques de la scène de la forge et la représentation des relations qu'entretiennent Siegfried et Mime peuvent inviter à ce type de lecture.