Abonnez-vous à Universalis pour 1 euro

POLKE SIGMAR (1941-2010)

Né en 1941 à Oels en Silésie, Sigmar Polke se réfugie avec sa famille en Thuringe, lors de l'expulsion des communautés allemandes qui suit la fin de la Seconde Guerre mondiale, puis passe à l'Ouest en 1953. De 1959 à 1960, il est apprenti chez un maître verrier de Düsseldorf et intègre en 1961 la Kunstakademie de cette même ville, où il côtoie dès 1962 le peintre Gerhard Richter (né en 1932) et le futur galeriste Konrad Fischer (exerçant alors sous le nom d'artiste de Konrad Lueg, 1939-1996). C'est avec ses deux camarades qu'il organise en 1963 une manifestation – à mi-chemin de l'installation, de la performance et d'une exposition de peintures – placée sous l'influence d'un pop art américain qui marque durablement le jeune Polke, comme l'attestent les peintures et les dessins réalisés tout au long de ses études, achevées en 1967.

S'attachant à un répertoire iconographique « populaire » perméable aux données d'une société de consommation allemande en pleine expansion, ses œuvres (dés)intègrent des images et des motifs extraits des médias et s'inspirent corollairement de procédés de reproduction technique comme la trame d'impression, dont les points retranscrits manuellement par l'artiste sur ses toiles vont devenir rapidement sa « marque de fabrique ».

Figuratif / Abstrait

Les motifs que Sigmar Polke s'approprie à partir de 1962-1963 sont tributaires d'une prospérité économique retrouvée – Socken (Chaussettes, 1963), Kekse (Biscuits, 1964), Würstchen (Saucisses, 1964) – et stigmatisent un confort petit-bourgeois ouest-allemand auquel ce peintre au cynisme corrosif tend un miroir à peine déformé. La société dépeinte par Polke est une société en perte de repères et qui ne semble plus distinguer l'essentiel de l'accessoire. Tout est placé sur un pied d'égalité, à l'image des œuvres complètes de Goethe, dont les élégantes tranches en cuir servent de motif à une œuvre de 1963 (Goethes Werke). Vidé de sa substance, le corpus de Goethe dont le caractère répétitif des volumes n'est pas sans évoquer la démultiplication des saucisses et autres biens de consommation, devient pour Polke un signe parmi d'autres venant alimenter une mythologie où, en cohérence avec un principe du pop art, le high et le low, le sacré et le trivial, coïncident tout naturellement.

Son travail à partir du grain de l'impression mécanique, qui se transforme chez lui en un signe à la frontière de l'abstraction et de l'ornementation (Tisch, 1963 ; Ries, 1964 ; Girlfriends, 1965-1966), incite Polke à intégrer de « véritables » matériaux reproductibles et « sériels », notamment des tissus industriels. Dès lors, les tissus pré-imprimés vont servir aussi bien de support à des interventions picturales et manuelles que de patterns géométriques. Les tableaux produits durant cette période – Das Palmen-bild, 1964, Lampionblumen, 1966, Lila-Form, 1967 – résistent à ce titre à toute classification. Ils sont tour à tour, voire simultanément, abstraits et figuratifs, et démontrent que Polke, au même titre que son ami et bientôt rival Richter, ne saurait se plier à la bipolarité chère aux modernistes.

Ce qui caractérise les œuvres de Polke dès la seconde moitié des années 1960 tient à leur capacité à interroger l'image à « l'ère de sa reproductibilité technique », pour reprendre le titre de l'essai de Benjamin, et à mettre à nu la vulnérabilité et la précarité d'un médium pictural à un moment où les tentatives et tentations iconoclastes sont légion. Ce faisant, les travaux de cet artiste répondent parfaitement au passage d'une ère moderniste à une ère que l'on pourrait qualifier de postmoderniste. À l'assurance affichée par certains peintres et théoriciens de l'[...]

La suite de cet article est accessible aux abonnés

  • Des contenus variés, complets et fiables
  • Accessible sur tous les écrans
  • Pas de publicité

Découvrez nos offres

Déjà abonné ? Se connecter

Écrit par

  • : maître de conférences en histoire de l'art contemporain à l'université de Valenciennes, critique d'art, commissaire d'expositions

Classification

Autres références

  • RICHTER GERHARD (1932- )

    • Écrit par
    • 2 304 mots
    ...coïncide dans la trajectoire de Richter avec la mise en place d'un collectif de circonstance réunissant les artistes Konrad Lueg, Manfred Kuttner et Sigmar Polke, également étudiants à la Kunstakademie de Düsseldorf. La rencontre avec Lueg (le futur galeriste Konrad Fischer) est la plus déterminante....