FREUD SIGMUND (1856-1939)
Naissance de la psychanalyse
Une fois rendue à sa spontanéité, l'hystérie conduisait à la technique des associations libres, laquelle, de son côté, obligeait à considérer le rêve comme un facteur décisif, révélateur non seulement des composantes inconscientes de certaines structures pathologiques, mais de l'organisation même de la psyché.
L'auto-analyse de Freud
Pourvue d'une méthode inédite et d'un espace mental ouvert pour la première fois à l'investigation, la psychanalyse commençait certes à s'affirmer comme une science indépendante, cependant elle n'était pas encore née, elle restait à maint égard hypothétique, et trop à la merci de son capricieux objet pour s'ériger en corps de doctrine. Pourtant, par l'un des paradoxes qui caractérisent son apparition dans le champ de la pensée, c'est précisément parce que Freud traversait alors une crise grave dans sa vie personnelle que la nouvelle science put sortir de la situation problématique où elle menaçait de s'enliser. Pour diverses raisons, en effet – la malveillance avec laquelle on accueillait ses travaux, la pression de grosses difficultés matérielles, les problèmes déroutants qu'il rencontrait chaque jour dans les cures, puis surtout la mort de son père, qui le plaça tout à coup dans la situation intérieure douloureuse que le contact des névrosés lui avait rendue familière –, il souffrait d'un malaise physique et moral très comparable à ceux qui motivaient les plaintes de ses clients, ce qui le porta à supposer qu'il était justiciable de la même sorte de traitement. Espérant se débarrasser de troubles pénibles s'il pouvait bénéficier de sa propre trouvaille, mais aussi comprendre en quelque sorte du dedans ce qui demeurait obscur dans les motivations cachées de la névrose, il se détermina à franchir le pas, sans autre aide qu'un immense appétit de savoir, ni autre instrument que son art tout neuf de déchiffrer les chimères de la nuit. Cette décision de s'analyser lui-même eut sur le cours de sa recherche un retentissement immédiat : elle apporta à la psychanalyse ce qui lui manquait pour se délivrer de ses dernières incertitudes théoriques et prendre rang parmi les autres sciences de l'esprit.
À quarante ans, donc, alors qu'il est marié, déjà père de cinq enfants, lié de tous côtés par des obligations sociales et des convictions arrêtées, Freud entreprend de remettre en cause ce qu'il pense et croit savoir de lui-même, en analysant ses rêves avec la même neutralité que s'ils ne venaient pas de lui. Les résultats de cette tâche dont il peut maintenant mesurer les périls sont consignés dans certains de ses ouvrages – en particulier dans La Science des rêves et dans Psychopathologie de la vie quotidienne –, mais les détails plus intimes n'en sont connus que par sa correspondance avec Wilhelm Fliess, un ami avec lequel il créa inconsciemment un équivalent de la situation analytique, en lui faisant jouer le rôle d'un substitut de l'autorité paternelle. Là, il décrit l'anxiété, l'abattement, l'exaltation, bref, les brusques changements d'état dont il est la proie ni plus ni moins que n'importe lequel de ses patients ; mais, s'il s'en plaint, il ne laisse pas non plus de s'en réjouir, d'abord à cause de la « beauté intellectuelle » de ce travail, dont il assure qu'il ne peut pas donner la moindre idée ; ensuite parce qu'il puise dans ses souffrances mêmes la certitude de ne s'être pas égaré. Pendant quatre ou cinq ans, il continue de descendre dans les régions inquiétantes où les fantômes de son lointain passé lui font revivre la sauvagerie première des passions ; mais, lorsqu'il remonte au jour, il a arraché à l'inconscient son secret le mieux gardé, et il peut s'engager dans la longue série des luttes qui accompagnent désormais la publication de ses idées.[...]
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Écrit par
- Jacques LE RIDER : directeur d'études à l'École pratique des hautes études
- Marthe ROBERT : écrivain
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