FREUD SIGMUND (1856-1939)
Freud, entre science et savoir
L'année 2010 a été marquée par l'entrée de l'œuvre de Sigmund Freud dans le domaine public. D'excellentes nouvelles traductions de L'Interprétation du rêve (que la première traduction française intitulait L'Interprétation des rêves), du Malaise dans la civilisation (que la traduction des Œuvres complètes. Psychanalyse, aux PUF, intitulait Le Malaise dans la culture) et de Totem et tabousont ainsi venu relancer l'intérêt pour ces textes fondamentaux. D'autres traductions nouvelles ont suivi (Sur le rêve et Sur la psychanalyse, notamment), chez Flammarion. Si nul ne contestait que les premières traductions françaises de Freud avaient vieilli et souffraient d'un éparpillement entre plusieurs éditeurs et d'un regroupement parfois arbitraire en recueils d'essais que l'auteur n'avait pas prévus, la traduction des Œuvres complètes. Psychanalyse sous la direction de Jean Laplanche et de Pierre Cotet (seize volumes déjà publiés sur vingt et un prévus au total) avait suscité des controverses, malgré les mérites de cette édition rigoureusement chronologique, accompagnée d'un appareil critique de grand intérêt. On peut lui reprocher d'avoir estimé que Freud avait forgé un langage nouveau et devait par conséquent être traduit en une langue truffée de néologismes, sacrifiant toute lisibilité sur l'autel d'un idéal de fidélité à l'original.
Dues à Jean-Pierre Lefebvre pour L'Interprétation du rêve, Dominique Tassel pour Totem et tabou et Bernard Lortholary pour Le Malaise dans la civilisation, les nouvelles traductions publiées en 2010 ont pris le parti opposé. Confiées à des traducteurs expérimentés, familiers des classiques de la littérature et de la philosophie de langue allemande, elles restituent non seulement le Freud théoricien, mais aussi l'écrivain Freud, qui s'exprimait avec élégance et clarté dans la langue de Goethe. Pour construire son système théorique, le fondateur de la psychanalyse n'a pas – ou presque jamais – créé des termes techniques nouveaux : il a plutôt cherché à redéfinir des notions chargées d'histoire, souvent utilisées par les philosophes et les psychologues depuis le début du xixe siècle. Ni l'inconscient (dasUnbewusste), ni les pulsions (die Triebe) ne sont des concepts forgés par Freud : il s'est contenté de leur donner un sens nouveau.
L'autre événement qui a mis en évidence l'immense prestige de Sigmund Freud fut le pamphlet de Michel Onfray, Le Crépuscule d'une idole (2010). Ce pavé de plus de six cents pages dans lequel Freud se voit présenté comme un dangereux mystificateur n'a guère impressionné les interprètes, même les plus critiques, de l'œuvre freudienne et a fait l'objet de réfutations cinglantes. On peut se demander si un pamphlet consacré à tout autre théoricien du domaine des sciences humaines et sociales aurait pu, en ce début de xxie siècle, provoquer un tel débat. Force est de constater que la psychanalyse conserve une importance considérable dans la pensée et dans la culture contemporaines.
La modernité viennoise
Depuis la découverte de la modernité viennoise, dans les années 1980, on considère Freud comme le théoricien de la crise de la culture libérale rationaliste, fondée sur la représentation d'individus raisonnables agissant dans le cadre d'institutions sociales et politiques édifiées par un processus de civilisation dont les Temps modernes constitueraient l'aboutissement. La démarche freudienne consiste à dissiper les illusions et les mensonges condensés dans l'idée de progrès scientifique, technique, mais aussi culturel, intellectuel, politique. Dans le sillage des Lumières, la vision du monde libérale considère le chaos comme un phénomène de surface qui peut être[...]
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Écrit par
- Jacques LE RIDER : directeur d'études à l'École pratique des hautes études
- Marthe ROBERT : écrivain
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Médias
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