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SIGNE ET SENS

Interroger sur le rapport entre signe et sens, c'est poser un problème qui n'a guère été formulé dans ces termes avant le xviie siècle, plus précisément avant Condillac. C'est demander quel lien nos idées et nos pensées entretiennent avec les mots de notre langage et en général avec les moyens d'expression qui ont une certaine parenté avec les mots. Il s'agit donc de mettre en relation la sphère de la pensée et la sphère du langage et de l'expression.

Se substituant à la problématique platonicienne de l'essence et de l'idée, celle du signe et du sens oscille néanmoins, au cours de l'histoire, entre une théorie du sens et une tradition empiriste qui tend à régler celui-ci sur le signe. En dépit de la manière dont elle renouvelle la question et de la priorité qu'elle semble conférer avec plus de rigueur encore à l'empire du signe, la linguistique contemporaine ne fait pas disparaître l'enjeu philosophique qui a préoccupé les penseurs des siècles précédents. Plusieurs approches, d'ailleurs, la diversifient, dont certaines appliquent les lois vérifiées pour l'unité signifié-signifiant à la phrase, à des unités encore plus larges et même à des ensembles sémiotiques extérieurs au langage. En revanche, cette linguistique du discours conduit à une sémantique philosophique à l'intérieur de laquelle apparaît, à côté d'une perspective sémiologique de type explicatif, une seconde notion du sens, corrélative d'un comportement interprétatif soucieux de suivre celui-ci vers la « référence », c'est-à-dire vers le monde ouvert devant le texte.

Ainsi, cette dialectique entre les deux comportements à l'égard du texte paraît bien être la forme moderne que prend le grand débat qui, au cours des siècles, n'a cessé de donner tour à tour la priorité au signe sur le sens, et au sens sur le signe.

Histoire du problème

L'Antiquité et le Moyen Âge

Une longue histoire du problème du signe et du sens a plutôt enseigné à ne pas relier les deux sphères de la pensée et du langage et même à les séparer. Dans le Cratyle, Platon s'interroge longuement sur la « justesse » des mots ; il renvoie dos à dos les deux protagonistes dont l'un veut que les mots naissent de la « convention » et l'autre qu'ils tiennent leur signification du lien qu'ils ont conservé avec la « nature » ; refusant l'alternative, il conclut qu'il faut aller aux choses mêmes « sans les mots » ; or, aller aux choses sans les mots, c'est méditer sur les idées, c'est-à-dire sur les modèles intelligibles des choses empiriques, qui seuls sont véritablement. Socrate avait déjà enseigné à « définir » les Idées (idées mathématiques, idées morales, idées de choses, etc.) : ces définitions constituent notre premier concept du sens ; le sens d'une notion, c'est le définissant que nous pouvons lui substituer. Mais, si Socrate avait « défini » les Idées, Platon les a « séparées », selon le mot fameux d'Aristote ; entendons qu'il les a séparées de la réalité sensible. La dialectique est alors la science de ces idées séparées et de leurs combinaisons. Ainsi avons-nous hérité de Platon une problématique du sens où le sens est l'Idée, ou l'essence, c'est-à-dire le principe intelligible aussi bien de la réalité que de la pensée.

Mais l'Antiquité nous a transmis d'autres manières de poser le problème du sens qui sont moins éloignées de notre manière d'interroger sur signe et sens. Aristote, rejetant la transcendance des Idées platoniciennes, et lui substituant une notion de « forme » inhérente aux individus concrets, ouvre une autre tradition qui l'emporte au Moyen Âge, la tradition du concept. Le concept n'est pas quelque chose que nous contemplons[...]

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Écrit par

  • : professeur émérite à l'université de Paris-X, professeur à l'université de Chicago

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Média

Étienne Bonnot de Condillac - crédits : DeAgostini/ Getty Images

Étienne Bonnot de Condillac

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