SIGNE ET SENS
Signe et sens en linguistique structurale
La petite histoire du problème philosophique du signe et du sens servira de toile de fond à l'analyse proprement linguistique des mêmes concepts. Si, en effet, la naissance de la linguistique marque une coupure importante dans l'histoire du problème, elle n'abolit pas pour autant les enjeux philosophiques. On peut dire, en première approximation, que la linguistique structurale place à nouveau la notion de sens sous l'empire de celle du signe (nous disons : en première approximation, afin de réserver l'éventualité d'un renversement de priorité, similaire à ceux que la longue histoire du problème révèle).
Signifiant et signifié
La possibilité de principe de subordonner la notion de sens à celle de signe est contenue dans l'analyse, aujourd'hui classique, du signe par Ferdinand de Saussure dans le Cours de linguistique générale. Un signe est un phénomène à double face qui oppose et relie un signifiant (vocal, écrit, gestuel, etc.) à un signifié corrélatif. Le signifié n'est aucunement une chose, c'est-à-dire une entité extralinguistique, il est purement et simplement l'autre face du signe, donc une entité proprement linguistique, la simple contrepartie du signifiant. Saussure lui-même donnait une interprétation psychologique et sociologique de cette corrélation : le signifiant est l'image acoustique d'un mot, le signifié est le concept correspondant, c'est-à-dire une notion appartenant au trésor intellectuel de la communauté linguistique ; considéré du point de vue du sujet parlant, le signifié est un dépôt inscrit dans l'inconscient d'où il peut être évoqué à l'occasion d'un acte particulier de parole. On peut abandonner cette transcription psychologique et sociologique ; l'essentiel demeure, à savoir que signifiant et signifié sont des corrélatifs, comme le sont l'envers et l'endroit de la même feuille de papier ; ils sont taillés ensemble, selon les mêmes découpures, par le ciseau de la convention linguistique. Ainsi compris, le rapport entre signifiant et signifié ne peut même pas être dit arbitraire, du moins au sens où le signe, pris globalement, l'est par rapport à la chose dénommée ; toutefois, ce rapport peut être dit arbitraire, si l'on veut souligner que le caractère conceptuel du signifié n'est pas motivé par le caractère sonore, graphique ou gestuel du signifiant ; mais, par là, on rappelle seulement que signifiant et signifié sont hétérogènes, qu'ils appartiennent à deux ordres différents ; ils n'en sont pas moins strictement corrélatifs.
Telle est la première analyse qui peut être faite du rapport entre signes et sens, si l'on tient pour équivalents sens et signifié. Cette corrélation admise, il est permis de dériver une théorie du sens de l'analyse du signe proposée par l'analyse structurale. Disons d'abord qu'aucune question de sens n'est posée, du moins directement, par l'articulation phonologique du langage ; les phonèmes ne sont pas encore des entités signifiantes, mais seulement distinctives ; sans doute, pour parler d'un phonème, faut-il parler du sens qu'il permet d'articuler, comme le montre le maniement du critère de commutation (le remplacement d'un phonème par un autre suppose qu'un sens distinct est produit, mais seule l'existence ou l'inexistence de ce sens importe, non son contenu propre). C'est donc l'autre articulation, celle qui concerne le signifié, ou plutôt l'unité signifiant-signifié prise de façon indivise, qui pose directement le problème du sens. L'analyse des mots en unités élémentaires de sens laisse entrevoir la possibilité d'appliquer aux unités signifiantes les mêmes lois que celles que la phonologie montre à l'œuvre[...]
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Écrit par
- Paul RICŒUR : professeur émérite à l'université de Paris-X, professeur à l'université de Chicago
Classification
Média
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