UNDSET SIGRID (1882-1949)
Comment peut-on consacrer toute une vie à chanter la femme sans être féministe au sens historique, c'est-à-dire polémique, du terme ? Comment résoudre, lorsqu'on est scandinave, l'accablant conflit entre rêve et réalité sans verser dans le naturalisme brutal et sans céder aux invites de l'Ange du bizarre ? Ce sont là quelques-unes des questions auxquelles l'œuvre altière et maîtrisée de la Norvégienne Sigrid Undset donne une réponse d'amour, de courage et de foi dont la portée ne cesse de croître avec les années.
La femme et l'amour
Sigrid Undset est née à Kalundborg, au Danemark, d'une mère danoise et d'un père norvégien, archéologue éminent auquel elle doit un amour ardent de l'histoire, mais qui meurt alors qu'elle n'a encore que onze ans. Cette disparition aura pour elle de graves conséquences : âgée de seize ans, elle devra renoncer à poursuivre ses études et travailler dans un bureau où, toutefois, elle aura le loisir d'observer de près le milieu de la ville d'Oslo qui formera le fond de tant de ses romans. Pendant dix ans, elle mènera de front ce travail et des études qu'elle n'accepte pas de remettre à plus tard.
En 1907, elle publie son premier roman, Marta Oulie et ses voisines (Fru Marta Oulie), qui est, sous forme de journal, l'histoire d'un mariage. L'auteur y est déjà ce peintre admirable de la femme qu'elle restera jusqu'au bout, et elle a déjà trouvé le sujet profond de toute son œuvre, la tragédie de l'amour humain. On décèle aussi ce qui sera désormais l'affirmation inlassablement répétée et de mieux en mieux étayée au rythme de l'évolution intellectuelle, morale, puis religieuse de Sigrid Undset : le rêve d'un amour individualiste et absolu est une dangereuse utopie ; la seule façon, pour la femme, d'accepter la condition humaine et de découvrir les vraies valeurs de la vie est de chercher à s'accomplir dans l'exécution vigilante de ses devoirs d'épouse et de mère. Les nouvelles de Den lykkelige alder (1908, L'Âge heureux) développent ces idées. Ces premiers succès mettent d'ailleurs l'auteur en état d'abandonner son travail pour ne plus vivre que de sa plume, et de faire un voyage en Italie dont on retrouve l'écho dans son premier chef-d'œuvre, Jenny (1911), semi-autobiographie où sont relatées les amours de Sigrid Undset et du peintre A. C. Svarstad qu'elle épousa en 1912. Jenny est une jeune femme romantique qui berce un impossible rêve d'amour qu'elle ne pourra incarner ni dans l'homme d'âge mûr qu'elle rencontre, ni dans le fils de celui-ci. L'obstacle provient avant tout des conventions sociales et des préjugés d'un milieu étouffant, et la romancière, ici, s'inscrit bien dans la ligne des grands révoltés scandinaves, Ibsen en particulier. Mais il faut bien y prendre garde ; ce n'est pas une émancipation inconditionnelle qu'elle réclame pour la femme : simplement la possibilité effectivement offerte et réalisable sans encombre de s'engager selon son cœur dans une famille, une religion. Printemps (Vaaren, 1914) ajoutera une importante précision, à une époque où, en Norvège, triomphait l'individualisme farouche et naturiste de Knut Hamsun : le thème de l'enfant y prend la première place, car, seul, l'amour maternel peut combler la vie d'une femme et remettre dans l'ombre le spectre de la mort. Ainsi, l'inspiration de Sigrid Undset est résolument orientée et centrée, servie de plus par un style franc et direct.
La suite de cet article est accessible aux abonnés
- Des contenus variés, complets et fiables
- Accessible sur tous les écrans
- Pas de publicité
Déjà abonné ? Se connecter
Écrit par
- Régis BOYER : professeur émérite (langues, littératures et civilisation scandinaves) à l'université de Paris-IV-Sorbonne
Classification
Média
Autres références
-
NORVÈGE
- Écrit par Marc AUCHET , Régis BOYER , Georges CHABOT , Encyclopædia Universalis , Lucien MUSSET et Claude NORDMANN
- 24 666 mots
- 24 médias
...épique, psychologique, lyrique, humoristique. Son dernier titre, Menneskeogmaktene (1938, Hommes et forces de la nature), résume son propos. Ensuite Sigrid Undset (1882-1949), romancière au tempérament épique qui aura poussé l'étude du féminisme dans ses derniers retranchements et, forte de sa conversion...