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UNDSET SIGRID (1882-1949)

La femme et l'histoire

En s'inscrivant dans l'histoire, cette méditation se dote alors d'une dimension temporelle qui lui manquait encore. Ce qu'elle a écrit jusque-là ne vaut-il que pour les Temps modernes ? Les enseignements du passé, scandinave surtout, où la femme joua un rôle important – non dans le sens de l'égalitarisme et des revendications des suffragettes, mais par l'autorité morale qu'elle exerça effectivement – ne peuvent-ils asseoir plus solidement cette pensée ? Depuis toujours, Sigrid Undset s'est passionnée pour ses sœurs des temps anciens. Dès 1909, elle écrivait les Fortaellingen om Viga-Ljot og Vigdis (Histoires de Viga-Ljot et de Vigdis), qui se déroulaient autour de l'Oslo de l'an mille. Les sagas islandaises, qu'elle traduit ou adapte, l'intéressent pour les extraordinaires personnages féminins qu'elles présentent souvent, et c'est encore sous cet angle qu'elle voit les romans de la Table Ronde (1915, Fortaellingen om Kong Artur of ridderne af det runde bord).

C'est aussi que de graves bouleversements ont altéré le cours de son existence. Elle a dû divorcer en 1925 : il lui reste à élever les trois enfants que Svarstad lui avait apportés d'un premier mariage, et les trois enfants qu'elle-même a eus de lui. De plus, comme le suggérait Sankt Halvards Liv, død og jertegn (1925, Vie, mort et miracles de saint Halvard), elle vient de se convertir (1925) au catholicisme, non pas soudainement, mais par une lente et sûre évolution. Désormais, elle vit pour ses enfants et pour son art auquel elle confère une valeur capitale. Elle est venue à Dieu par exigence d'absolu : tout ce qu'elle écrit tend à retracer un itinéraire spirituel, entendant bien lui donner une valeur exemplaire. Au vrai, des œuvres comme Fattige Skjaebner (1912, Pauvres Destins) ou Splinten av Troldspeilet (1917, L'Éclat de verre du miroir magique) et surtout Les Vierges sages (De kloge Jomfruer, 1918) témoignaient d'un vide ou d'un appel dans la quête de bonheur véritable qu'entreprenaient leurs héroïnes, bonheur qui consiste à s'accepter soi-même, à se satisfaire de la place qu'on tient dans la société. Or rien ne peut justifier cette place, qu'une instance absolue et aimée : celle que les chrétiens appellent « Providence ».

Parvenue maintenant à son plein épanouissement, la pensée de Sigrid Undset se trouve parfaitement illustrée par ses deux vastes chefs-d'œuvre Kristin Lavransdatter (1920-1922) et Olav Audunssøn (1925-1927), tous deux plongés en plein Moyen Âge norvégien, l'un au xive siècle, l'autre au xiiie siècle. Bien que ce soit le second qui lui ait valu le prix Nobel, en 1928, c'est le premier qui cerne le mieux, en ses trois étapes, la méditation de l'auteur. La femme en est, bien entendu, le personnage central, et le but est bien de montrer comment elle peut s'accomplir – par quel moyen, et seulement ainsi, elle peut parvenir à l'acceptation joyeuse de sa destinée. Cela se fait en trois temps que disent les titres des trois volumes successifs : par l'amour humain (Kransen, La Couronne), par la maternité et la vie familiale (Husfrue, improprement rendu en français par La Femme ; il vaudrait mieux dire « La Maîtresse de maison ») et par le service de Dieu, en l'occurrence lors des terribles épreuves de la peste noire (Korset, La Croix). Olav Audunssøn ne fait que mettre davantage l'accent sur le dernier temps, mais désormais toutes les héroïnes de Sigrid Undset (et encore Ida Elisabeth dans le roman qui porte son nom) savent que la lutte à mener s'engage entre la couronne de la jeune mariée radieuse et la croix de la femme ayant accepté de prendre ses responsabilités devant les hommes et devant Dieu.

Le plus remarquable, il faut le souligner, est que[...]

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Écrit par

  • : professeur émérite (langues, littératures et civilisation scandinaves) à l'université de Paris-IV-Sorbonne

Classification

Média

Sigrid Undset - crédits : ullstein bild/ ullstein bild/ Getty Images

Sigrid Undset

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  • NORVÈGE

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    • 24 666 mots
    • 24 médias
    ...épique, psychologique, lyrique, humoristique. Son dernier titre, Menneskeogmaktene (1938, Hommes et forces de la nature), résume son propos. Ensuite Sigrid Undset (1882-1949), romancière au tempérament épique qui aura poussé l'étude du féminisme dans ses derniers retranchements et, forte de sa conversion...