SILENT SPRING (R. Carson)
La biologiste américaine Rachel Carson (1907-1964) fait paraître, le 27 septembre 1962, Silent Spring (traduit en français sous le titre Printemps silencieux l'année suivante), un ouvrage où elle dénonce l'impact, sur l'environnement et la santé, du DDT (dichloro-diphényl-trichloroéthane) et autres pesticides de synthèse. La pollution par les pesticides n'est pourtant pas un phénomène nouveau : environ 34 millions de tonnes d'arséniate de plomb furent utilisées par les agriculteurs américains durant la seule année 1944. La presse a régulièrement dénoncé des cas d'empoisonnement aigu ou chronique mais ni les milieux médicaux, ni l'industrie agrochimique, ni le grand public ne se sont intéressés à cette question. Qu'est-ce qui a changé en 1962 et qui a permis l'incroyable succès de ce livre ?
Dans Silent Spring, Rachel Carson compile de très nombreuses données obtenues par les spécialistes des questions de santé ou de gestion de la faune sauvage, et les rend accessibles à un large public. Le but de cet ouvrage de vulgarisation est de dénoncer l'introduction dans notre environnement de substances chimiques toujours plus nombreuses et le danger qu'elles font peser sur l'avenir de la vie sur Terre. Elle souligne la complexité des interactions du monde vivant en expliquant, par exemple, le phénomène d'accumulation (dit de bioamplification) des produits chimiques dans la chaîne alimentaire. Elle juge avec sévérité l'inertie des responsables politiques et scientifiques et relève la faiblesse des recherches sur l'impact des pesticides sur la faune sauvage. Elle dénonce aussi la spirale technique dans laquelle l'humanité s'est engagée, du fait de la capacité d'adaptation des insectes qui oblige à produire des substances toujours plus dangereuses ou à employer des doses toujours plus fortes. Elle n'est pas que dénonciatrice : elle conclut par un plaidoyer en faveur de méthodes alternatives pour contrôler les insectes nuisibles (par les pyréthrines par exemple).
Il faut souligner que l'opinion publique a été sensibilisée aux conséquences néfastes des produits chimiques par toute une série d'événements : le scandale des canneberges (cranberries), dont plusieurs récoltes furent interdites après la détection de hauts niveaux de pesticides ; les effets désastreux de la thalidomide, un médicament prescrit à des femmes enceintes et responsable de malformations congénitales ; l'impact des retombées radioactives des essais nucléaires atmosphériques qui a contribué à populariser un certain nombre de concepts (invisibilité des poisons modernes, accumulation dans les organismes...).
Aucun livre n'a eu une influence aussi grande tant sur les opinions publiques que sur les scientifiques ou les politiques, et ce malgré la violence de la campagne menée par l'industrie agrochimique et par le ministère américain de l'Agriculture, avec la complicité de certains médias, contre Rachel Carson. Silent Spring, dont l'impact social a été comparé à celui de La Case de l'Oncle Tom – roman antiesclavagiste écrit par Harriet Beecher-Stowe et publié en 1852 –, a largement contribué à la naissance de l'écologie politique.
La suite de cet article est accessible aux abonnés
- Des contenus variés, complets et fiables
- Accessible sur tous les écrans
- Pas de publicité
Déjà abonné ? Se connecter
Écrit par
- Valérie CHANSIGAUD : docteur en sciences de l'environnement, historienne des sciences et de l'environnement, chercheuse associée au laboratoire SPHERE, CNRS, UMR 7219, université de Paris-VII-Denis-Diderot
Classification