SILS MARIA (O. Assayas)
Parce qu’il a souvent filmé l’adolescence, parce que son cinéma baigne dans une culture contemporaine (musiques, bande dessinée, science-fiction, effets spéciaux, cinéma asiatique...), Olivier Assayas semble toujours appartenir au « jeune cinéma français ». Sils Maria (2014) est pourtant son quinzième long-métrage. Après la plongée aux accents autobiographiques d’Après mai (2012), il se présente comme un film de pleine maturité qui opère une synthèse de ses préoccupations tant thématiques que stylistiques. Le film, en effet, ne cesse de renvoyer à ses œuvres antérieures. Ainsi, le dernier plan rappelle fortement celui de Rendez-vous d’André Téchiné (1985), premier film important auquel ait collaboré le cinéaste en tant que scénariste. Au moment d’interpréter la Juliette de Shakespeare, Nina (Juliette Binoche) hésitait à se lancer. Le même instant suspendu caractérise le finale de Sils Maria qui isole Juliette Binoche lorsque, après maints revirements, l’actrice Maria Anders s’apprête à jouer sur scène le rôle d’Helena. Depuis Désordre (1986), tout le cinéma d’Assayas raconte cet instant où l’être cesse de se réfugier dans l’illusion d’un passé immobile pour s’assumer dans la fragilité de l’incertitude du présent et de l’avenir.
Trois femmes
La disparition d’un être mystérieux, sans doute grandi par l’imaginaire ou le souvenir, plane sur plusieurs films d’Olivier Assayas. C’est Adrien (François Cluzet), l’écrivain de Fin août, début septembre (1998), ou le peintre Paul Berthier de L’Heure d’été (2007), relayé par Hélène (Édith Scob), la mère de la famille recomposée. On pourrait également mentionner la figure de Feuillade dans IrmaVep (1996), voire celle du héros de Carlos (2010)... Dans Sils Maria, c’est la mort soudaine du dramaturge et metteur en scène Wilhelm Melchior qui déclenche le récit. Voici deux décennies, il fut à l’origine de la carrière de celle qui est aujourd’hui la grande Maria Anders en confiant à cette débutante d’à peine vingt ans le rôle de Sigrid, la jeune assistante qui déstabilise Helena. Celle-ci, fragilisée comme chef d’entreprise par la crise économique et comme femme par l’angoisse de la quarantaine, bousculée et humiliée par le cynisme de la jeune arriviste qui se moque de la passion charnelle qu’elle éprouve pour elle, est poussée au suicide. Vingt ans après la réussite de Maria dans Le Serpent de Maloja, après la disparition de Melchior, Klaus Diesterweg, brillant metteur en scène, propose à Maria Anders de jouer à nouveau dans la pièce, mais cette fois en interprétant le rôle de la femme mûre, Helena, alors qu’elle se sent indissolublement attachée au personnage de Sigrid. Ce jeu de miroir entre les deux mises en scène se double d’une série de mises en abyme. Olivier Assayas a indirectement révélé une Juliette Binoche de vingt ans avec le film de Téchiné et il lui fait aujourd’hui jouer la vulnérabilité de la quarantaine, tandis que lui-même approche de la soixantaine. Le choix des deux « jeunes » actrices, stars d’un cinéma numérique et médiatique, fait également pénétrer dans le film leur personnage et leurs vies à la fois privées et publiques. Kristen Stewart, star adolescente de la série Twilight et de divers thrillers, connue pour ses liaisons et ses « excuses » publiques aux médias, est utilisée à contre-emploi dans le rôle de Valentine, la très sérieuse et efficace assistante de Maria Anders. À l’inverse, le personnage de Jo-Ann semble calquée sur son interprète, Chloë Grace Moretz, « baby-star », actrice de films violents (Kick-Ass ou Carrie, la vengeance) à la vie amoureuse également agitée. Le résultat est un feu d’artifice d’actrices digne d’un Cukor ou de l’Ève de Joseph L. Mankiewicz.
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Écrit par
- Joël MAGNY
: critique et historien de cinéma, chargé de cours à l'université de Paris-VIII, directeur de collection aux
Cahiers du cinéma
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