Abonnez-vous à Universalis pour 1 euro

SILS MARIA (O. Assayas)

L’instant et la durée

Mais le propos d’Assayas va bien au-delà. Sils-Maria, c’est d’abord un petit village suisse des Grisons, où Nietzsche formula sa doctrine de « l’éternel retour ». Les magnifiques paysages de Sils-Maria se font à la fois l’écho et le contrepoint de l’aventure de Maria Anders. En particulier à travers le phénomène météorologique du « serpent de Maloja », cette coulée de nuages entre les sommets enneigés qui ne cesse de se reproduire et qui fut filmée par Arnold Frank dès 1924. Parmi les possibles lectures de l’éternel retour selon Nietzsche, retenons que le mouvement répétitif qui anime le cosmos n’exonère pas pour autant chacun de choisir sa voie, décision à laquelle sont confrontés tous les personnages du cinéma d’Assayas. Mais les signes du ciel sont comme les nuages du « serpent » de Maloja : nets dans l’instant, en vérité aussi instables que les humeurs humaines. Chaque personnage de Sils Maria est confronté dans le même mouvement à la durée comme à l’instant. Melchior a hâté le moment de sa mort tandis que son acteur attitré, Henryk Wald (Hanns Zischler) a joué, joue et jouera encore ses œuvres. Au contraire, pour Jo-Ann, seul compte le présent et le succès immédiat, par tous les moyens. Tandis que la veuve du dramaturge brûle des manuscrits, Klaus reprend la pièce en y incluant des ajouts posthumes. Un jeune réalisateur, vers la fin du film, propose à Maria un rôle qui siérait à Jo-Ann : pour lui, passé et présent se valent.

Seules Valentine et Maria concilient difficilement l’instant et la durée. L’assistante paraît à l’aise dans son époque, jonglant avec les téléphones et les rendez-vous. Elle tente de concilier l’art dramatique selon Maria et selon Jo-Ann mais disparaît lorsque cela n’est plus possible, remplacée par une autre assistante parfaitement mécanisée et la Jo-Ann/Sigrid qu’elle aurait sans doute aimé être, sans le pouvoir. Reste Maria, écartelée entre celle qu’elle fut et celle qu’elle doit se résoudre à incarner... Jo-Ann lui accordera-t-elle l’instant qu’elle mendie avant la décision, ou bien est-il trop tard ? Le temps fuit aussi vite que le « serpent » de Maloja...

— Joël MAGNY

La suite de cet article est accessible aux abonnés

  • Des contenus variés, complets et fiables
  • Accessible sur tous les écrans
  • Pas de publicité

Découvrez nos offres

Déjà abonné ? Se connecter

Écrit par

  • : critique et historien de cinéma, chargé de cours à l'université de Paris-VIII, directeur de collection aux Cahiers du cinéma

Classification