OCAMPO SILVINA (1903-1993)
Née à Buenos Aires en 1903, Silvina Ocampo attendit 1937 et la parution de son premier livre — un recueil de nouvelles intitulé Viaje olvidado — pour commencer à se faire un prénom : la renommée littéraire de la famille reposait en effet jusque-là sur son illustre sœur aînée Victoria, fondatrice en 1931 de la prestigieuse revue Sur. Victoria devait d’ailleurs être la première critique, aussi sévère qu’élogieuse, de l’ouvrage de sa cadette. Plus effacée, mais tout aussi cultivée et raffinée — elle possède à fond l’anglais et le français, a étudié la musique à Paris et pris des cours de peinture avec Giorgio De Chirico —, Silvina Ocampo est demeurée jusqu’à sa mort, en décembre 1993, un écrivain discret, indifférent aux mécanismes de la promotion littéraire.
En 1940 paraît une Anthologie de la littérature fantastique préparée avec Adolfo Bioy Casares, qu’elle épouse la même année, et avec Jorge Luis Borges, témoin de leur mariage et ami inséparable du couple jusqu’à sa disparition. Ils publient ensemble un an plus tard une Antología poética argentina ; en 1942, les poèmes de Enumeración de la patria achèvent de délimiter le champ créatif de Silvina Ocampo, traversé par un lyrisme qui se coule aussi bien dans sa prose que dans ses vers, et par une indéniable attirance pour le fantastique, qui est la constante majeure de son œuvre. On retrouve cet aspect six ans plus tard dans un deuxième recueil de nouvelles, Autobiografía de Irene, caractérisé par l’idée, habituelle chez l’auteur, que “l’imagination peut constituer une connaissance anticipée du futur” (Noemí Ulla). Ce sont en revanche des situations cruelles que mettent en scène les nouvelles de La Furia y otros cuentos, où la réalité subit d’inquiétantes déformations. Dans sa Préface à l’édition française de Faits divers de la terre et du ciel (Las Invitadas,1961), Italo Calvino parlera d’ailleurs “d’une férocité qui a toujours quelque chose à voir avec l’innocence”, et qui marque souvent le monde de l’enfance où l’écrivain nous fait pénétrer. La même atmosphère imprègne les nouvelles des recueils suivants, Los Días de la noche (1970), Y así sucesivamente (1987) et Cornelia frente al espejo (1988), ces deux derniers ouvrages ayant fait l'objet d'une traduction partielle, sous le titre de Mémoires secrets d'une poupée. Tous ces ouvrages manifestent la maîtrise de Silvina Ocampo dans le cuento qui est, comme on le sait, l’une des expressions privilégiées de la littérature hispano-américaine.
Parallèlement à son œuvre de conteur, Silvina Ocampo a élaboré, sa vie durant, une œuvre poétique qui la situe, là encore, au premier rang des écrivains argentins de son temps. Après l’avoir classée parmi ceux qu’il appelle des “subversifs de la réalité”, le grand critique E. Anderson Imbert évoque les poèmes recueillis dans sa Pequeña antología (1954) en parlant de “vers désolés, mais dont toute rhétorique de la désolation est absente, et qui sont faits de souvenirs très nets, sans qu’on puisse savoir s’ils ont été vécus à l’état de veille ou dans le rêve”. Cette ambiguïté, ainsi qu’un sentiment aigu et douloureux du temps métaphysique, qui affecte la perception de la réalité quotidienne, habite l’ensemble d’une production très abondante. On citera, entre autres, Poemas de amor desesperado (1949), Lo Amargo por dulce (1962), Amarillo Celeste (1972) et Arboles de Buenos Aires (1979).
Cette œuvre multiple et variée — Silvina Ocampo a aussi écrit de nombreux contes pour enfants, traduit des poèmes d’Emily Dickinson, avec une Préface de Borges, et publié, en collaboration avec Juan R. Wilcock, du théâtre en vers, Los Traidores (1956) — est cependant liée par une grande unité et séduit par son originalité et sa richesse.
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Écrit par
- Jean-Marie SAINT-LU : agrégé d'espagnol, maître de conférences honoraire à l'université de Toulouse-II-Le Mirail
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