Abonnez-vous à Universalis pour 1 euro

VOUET SIMON (1590-1649)

Londres, Constantinople et Rome

Dans sa jeunesse, Vouet voyagea beaucoup. Son talent fut probablement précoce. Vers l'âge de quatorze ans, écrit Isaac Bullart (Académie des sciences et des arts...) en 1682, “une personne de haute qualité ayant veu ces beaux essays, ou plutost ces chefs-d'œuvre, le choisit pour aller à Londres faire le portrait d'une dame fort considérable par sa naissance et par sa beauté”. Et Bullart de poursuivre : “le sieur de Harlay, Baron de Sancy, ayant esté nommé par le Roy pour aller en qualité de son ambassadeur à la Porte ottomane, il l'invita à le suivre en ce pays, afin d'avoir par son moyen les portraits du Grand Seigneur et des lieux considérables de Constantinople...”. Surtout, comme tant d'artistes de sa génération, Vouet fait le voyage d'Italie. En 1613, il séjourne à Venise ; dès le début de 1614, il est installé à Rome. En 1621, on le trouve à Gênes, en 1626 à Naples. On le verra aussi à Milan, à Parme...

Partout, il observe et glane : sa première manière est d'ailleurs changeante, indéfinissable. Caravagesque, il l'est sans aucun doute : par le milieu bohème qu'il fréquente, d'abord dans la Ville éternelle, avant que la faveur du pape Urbain VIII Barberini, qui le fait travailler à Saint-Pierre, et la renommée ne le portent au principat de l'Académie de Saint-Luc (1624), c'est-à-dire à la plus haute distinction artistique romaine. Caravagesque aussi par les formats à mi-corps, les éclairages latéraux violents et un goût du réalisme qu'il va peu à peu édulcorer sans jamais y renoncer complètement. Le Spadassin du Herzog Anton Ulrich Museum de Brunswick, la Diseuse de bonne aventure d'Ottawa, le David du Palazzo Bianco à Gênes attestent cette appartenance. Mais Vouet témoigne aussi d'autres curiosités. Son étrange Sainte Famille du Prado que l'on croit du début du séjour romain, soit vers 1613, est vénitienne par le paysage et certaines options chromatiques, mais aussi quelque peu influencée par Corrège ; d'une élégance à peine mâtinée de réalisme et pleine d'emphase baroque, les Anges avec les instruments de la Passion de Naples sont bien loin déjà des voyous de Caravage ; fort peu caravagesque encore, malgré la violence du clair-obscur, l'allégorie complexe du Capitole appelée L'Entendement, la mémoire et la volonté.

<it>Le Temps vaincu</it>, S. Vouet - crédits :  Bridgeman Images

Le Temps vaincu, S. Vouet

Et puis, on voit poindre chez Vouet, outre ce jeu de lignes sinueuses qui commence à rythmer ses tableaux, un intérêt pour le monumental et le point de vue en contrebas annonciateur des grandes entreprises décoratives de Paris : figures massives empruntées à Michel-Ange dans la Naissance de la Vierge de San Francesco a Ripa, portrait plus grand que nature, en vérité colossal, du prince Giancarlo Doria, raccourcis puissants des deux scènes de la Vie de saint François à la chapelle Alaleoni de San Lorenzo in Lucina (1623-1624). Trois tableaux d'autel, exécutés à la fin du séjour italien, montrent dans ce domaine, d'emblée si important pour l'artiste, une évolution rapide : alors que Le Christ au calvaire (1621) du Gesù de Gênes se réfère encore nettement à Lanfranco et à la peinture lombarde, La Circoncision peinte pour l'église Sant'Angelo a Segno de Naples (1622) et L'Apparition de la Vierge à saint Bruno de la chartreuse de San Martino (1626) préfigurent pleinement ce baroque tempéré, équilibrant si justement la rhétorique et la psychologie, la vérité et l'idéal, qui devait assurer la gloire de l'artiste à Paris. Exécuté à Rome en 1627, le Temps vaincu du Prado, tout en mouvement et en courant d'air, confirme avec un brio supérieur et une sève naturaliste nouvelle, probablement d'inspiration vénitienne, cette tendance dans le genre prometteur de l'allégorie.

La suite de cet article est accessible aux abonnés

  • Des contenus variés, complets et fiables
  • Accessible sur tous les écrans
  • Pas de publicité

Découvrez nos offres

Déjà abonné ? Se connecter

Écrit par

Classification

Médias

<it>Le Temps vaincu</it>, S. Vouet - crédits :  Bridgeman Images

Le Temps vaincu, S. Vouet

<it>La Madone</it>, S. Vouet - crédits : Electa/ AKG-images

La Madone, S. Vouet

<it>Énée, fuyant Troie, porte son père Anchise</it>, S. Vouet - crédits :  Bridgeman Images

Énée, fuyant Troie, porte son père Anchise, S. Vouet

Autres références

  • CHAMPAIGNE PHILIPPE DE (1602-1674)

    • Écrit par
    • 1 046 mots
    • 5 médias
    ...buste. À la fois brillant de coloris, majestueux de formes et d'un réalisme vigoureux mais toujours digne, le style baroque tempéré que Champaigne met alors au point est sans doute, dans le Paris des années 1630, l'alternative la plus convaincante à l'art lyrique et sensuel deSimon Vouet.
  • GENTILESCHI ARTEMISIA (1593-vers 1654)

    • Écrit par
    • 1 130 mots
    • 1 média
    ...Florence jusqu'en 1620, puis retourne à Rome pour un temps, où elle est enregistrée administrativement comme padrona di casa (propriétaire de la maison). Elle fréquente l'atelier du peintre français Simon Vouet, qui réalisa son portrait (1623), et qui exerça sur elle une visible influence. Artemisia...
  • LE SUEUR EUSTACHE (1616-1655)

    • Écrit par
    • 1 881 mots
    • 4 médias
    ...précoces et sans doute des attaches familiales lui permettent d'entrer vers 1632 dans le plus célèbre et le plus actif des ateliers de la capitale, celui de Simon Vouet, revenu d'Italie en 1627. Il y demeure plus d'une dizaine d'années et y reçoit une formation de peintre et de décorateur, qu'il complète –...
  • MELLAN CLAUDE (1598-1688)

    • Écrit par
    • 1 048 mots

    Originaire d'Abbeville (Somme), patrie de nombreux graveurs de talent, Claude Mellan vit le jour en mai 1598. Son père et homonyme et un de ses frères, Philippe, étaient chaudronniers et planeurs de cuivre. Ce milieu professionnel fut probablement à l'origine de sa vocation. On ignore toutefois...

  • Afficher les 7 références