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BEAUVOIR SIMONE DE (1908-1986)

L'autobiographie

L'entreprise de vivre et l'entreprise d'écrire sont si liées chez Simone de Beauvoir que le passage à l'autobiographie, plus directement en prise avec le réel que le roman, était inévitable. Commencée à la cinquantaine, cette entreprise, qui répond aussi au désir de sauver le passé, se poursuit avec des modalités diverses presque jusqu'à la fin de la vie de Simone de Beauvoir : au socle dur constitué par les Mémoires d'une jeune fille rangée (1958), La Force de l'âge (1960) et La Force des choses (1963) s'ajoute, à titre de complément plus tardif, Tout compte fait (1972). Une mort très douce (1964) occupe une place adventice tandis que La Cérémonie des adieux (1981) met un point final à l'écriture et à une certaine forme de vie.

Le récit d'enfance et d'adolescence obéit à un désir ancien et tenace chez Simone de Beauvoir. Sans doute est-il aussi le plus réussi et, comme le pense son auteur, le mieux construit. Les Mémoires d'une jeune fille rangéeracontent les étapes d'une émancipation intellectuelle et morale, la naissance et la confirmation d'une vocation d'écrivain, la rencontre ultime, enfin, après maints tâtonnements, de l'homme qui allait orienter toute une vie. La narratrice sait respecter la perspective de l'enfant et de l'adolescente qu'elle fut, quitte à introduire après coup des explications plus généralisantes qui ménagent cependant la liberté du lecteur. La Force de l'âge décrit les années obscures et gaies de deux écrivains animés d'une ardeur de vivre et d'une soif de connaître peu communes : on y trouve un irremplaçable tableau des années 1930, vues par des intellectuels peu engagés (1930-1944). La Force des choses détaille une existence plus connue du public, marquée par des engagements politiques, des voyages, un travail incessant mais aussi le vieillissement (1945-1963). Plus qu'un récit de vie personnelle, ces deux tomes sont à la fois une autobiographie de couple et des mémoires en forme de chronique. L'auteur s'y accorde explicitement le droit à l'omission. La publication du Journal de guerre et des Lettres à Sartre apporte ainsi des informations nouvelles (récits de liaisons homosexuelles, compléments aux fragments de journal insérés dans les mémoires). Tout compte fait, rompant avec l'ordre chronologique adopté antérieurement, établit, en suivant un ordre thématique, le bilan des années 1964 à 1972. L'agonie et la mort de la mère de Simone de Beauvoir font l'objet d'un très beau récit, à la fois pudique et lucide, Une mort très douce. Grâce à la compassion et à la révolte qu'inspirent la maladie et la mort, la fille renoue les liens rompus avec la mère perdue. Avec ce livre, où beaucoup de lecteurs purent reconnaître leur propre souffrance, commence vraiment la méditation sur la vieillesse et la mort. L'œuvre se clôt avec La Cérémonie des adieux, récit des dernières années de Jean-Paul Sartre (de 1970 à 1980). Témoin désormais moins proche que par le passé mais toujours attentif et vigilant, Simone de Beauvoir y raconte parallèlement les derniers engagements politiques de Sartre et les pénibles défaillances de son corps, toujours supportées avec stoïcisme. Ce livre déroute car il est, à la fois et de manière incompatible, “le discours solennel et attendu aux funérailles d'une gloire nationale et la dernière œuvre d'un écrivain démythificateur” (Geneviève Idt).

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Écrit par

  • : ancienne élève de l'École normale supérieure de Sèvres, agrégée de lettres classiques, maître de conférences honoraire de littérature française à l'université de Lille-III

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Médias

Simone de Beauvoir - crédits : Hulton Archive/ Getty Images

Simone de Beauvoir

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