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WEIL SIMONE (1909-1943)

Les chemins de la sagesse

La clé de la méthode, c'est l'attention, qui, si elle se rend pure, est comme un holocauste de la conscience : le moi s'oublie, apparaît alors la réalité. C'est toujours l'attention qui la trouve, que ce soit à travers la beauté, la souffrance, l'amour. Et elle la trouve en découvrant la relation entre l'humain et le divin, qui s'appelle l' analogie. Au sens fort, le Logos unique fait la vie de Dieu et la consistance de l'Univers : il est l'Âme de l'Univers et l'Univers est son Œuvre. « L'amitié est une égalité faite d'harmonie », redit-elle après Philolaos. Cette harmonie invisible, fin et loi de construction de toutes choses, est en même temps une personne. La médiation est le Médiateur, et s'appelle le Christ. Simone Weil ne voit rien qui sépare le christianisme authentique et la source grecque, saint Jean et Héraclite. Elle déchiffre toujours le Nouveau Testament dans le texte grec et récuse le Dieu de crainte selon la loi juive, comme aussi le Dieu des Églises ivres de puissance sur les corps et sur les esprits.

C'est dire la place véritablement focale de l'analogie, qui la guide jusqu'en mathématiques. Car la théorie des proportions symbolise l'ordre universel, l'ordre divin. La proportion transparaît visiblement dans la beauté du monde, qui est « la coopération de la Sagesse divine à la création ». La beauté naturelle, signe actif de la présence divine, est « quelque chose comme un sacrement ».

La voie positive de la Beauté demande une âme pure. Mais l'âme se replie sur le moi dont elle fait son dieu, et devient aveugle. Elle est encombrée de sa « pesanteur », encombrée de soi et de son néant. Elle ne peut guère en être libérée que par le malheur. Certes, la pensée spontanément fuit le malheur « aussi irrésistiblement qu'un animal fuit la mort ». C'est pourquoi persévérer dans l'amour alors qu'on souffre le malheur, c'est laisser Dieu « descendre » en nous : « Chaque fois que nous subissons une douleur [...], c'est l'univers, l'ordre du monde, la beauté du monde, l'obéissance de la création à Dieu qui nous entrent dans le corps » (Attente de Dieu).

L'attention découvre l'analogie. L'analogie, qui est mentale, exprime l'ordre, qui est réel. L'Enracinement montre comment cette réalité essentielle qu'est l'ordre relie au surnaturel les tâches humaines de la politique et de la culture. L'ordonnance divine prescrit à la matière la pesanteur, qui est sa loi ; elle s'exprime entre les hommes par leurs véritables besoins, et l'ordre politique est le besoin primordial. Seule la connaissance surnaturelle peut nous détourner de l'illusion – car les racines de l'homme sont divines –, nous ouvrir au réel et nous apprendre nos vrais besoins. L'Enracinement, dont la critique de la pseudo-démocratie et de la pseudo-culture semble anticiper des contestations plus récentes, établit pour l'après-guerre un programme de réforme politique et morale appuyé sur cette perception des vrais besoins de l'homme.

Plus souvent, comme dans les trois tomes des Cahiers, Simone Weil développe librement sa doctrine spirituelle, d'autant plus librement que ses notes n'étaient pas destinées telles quelles à la publication. Ce sont maintes observations cruelles et pénétrantes, car elle nous demande sans attendrissement de détruire en nous tout ce qui n'est pas le désir de Dieu. Nous sacrifier n'est pas suffisant, nous devons nous « décréer ». Cette cruauté presque inhumaine s'éclaire par contraste aux rares moments d'abandon et de pure joie. Ce n'est plus elle alors qui veut parler, mais une présence plus forte. Le Dieu de Simone Weil ne s'enferme pas dans un concept et ne se démontre pas. Il est Père, Fils, Esprit,[...]

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Média

Simone Weil - crédits : Apic/ Getty Images

Simone Weil

Autres références

  • POUVOIR (notions de base)

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    ...associations des remparts solides contre les excès de l’État. Quelle que soit la force de ces constructions théoriques, on peut penser que c’est seulement avec Simone Weil (1909-1943) qu’une réponse rationnelle a été apportée à La Boétie : « Sans doute, en toute occasion, ceux qui ordonnent sont moins nombreux...