SIRÉNIENS FOSSILES
Les siréniens actuels, représentés par les dugongs et les lamantins, méritent bien leur surnom de vaches de mer : ils broutent les prairies sous-marines côtières, remontent aussi les fleuves qu'ils débarrassent de leurs jacinthes d'eau et colonisent même quelques lacs africains. Leur aspect paisible, leur lourdeur, leurs gestes lents et mesurés et jusqu'à leur regard ne sont pas sans évoquer les bovins.
L' histoire des siréniens est ancienne puisque leurs ancêtres ont été identifiés dans des dépôts qui datent de 50 millions d'années (Éocène moyen) et qui ont eu lieu sur les rives du grand océan équatorial que fut la Téthys. Ce paléo-océan, qui commença à s'ouvrir vers 260-250 millions d'années (au début du Mésozoïque), a longtemps séparé les continents du Sud (formant ce que l'on a appelé le Gondwana) de ceux du Nord (constituant la Laurasie). Si aujourd'hui on ne compte que quatre espèces de siréniens (trois espèces de lamantins et une espèce de dugong) de par le monde, les paléontologues en ont recensées plus d'une cinquantaine. Jamais ces animaux n'ont quitté la ceinture tropicale qui les vit naître et d'évidence leur destin est lié à celui des prairies sous-marines qui se développent dans cette région. Leur répartition actuelle est très éclatée. On trouve les lamantins dans les zones côtières de la Floride, des Caraïbes et de l'Afrique de l'ouest (du Sénégal à l'Angola), ainsi que dans le fleuve Amazone et quelques fleuves et lacs africains. Le dugong vit dans les zones côtières de l'océan Indien et dans celles de la mer Rouge et du sud-ouest de l'océan Pacifique. Il en fut tout autrement dans le passé. En effet, au lieu d'espèces isolées ici et là, on s'est aperçu que dans plusieurs sites de l'Oligocène, du Miocène et du Pliocène, soit sur une période de 26 millions d'années, plusieurs espèces de taille différente avaient coexisté en un même lieu [J. Velez-Juarbe, D. P. Domning et N. D. Pyenson, « Iterative Evolution of Sympatric Seacow (Dugongidae, Sirenia) Assemblages during the Past 26 Million Years », in PLoS ONE, vol. 7, no 2, 2012].
De par l'anatomie de leur prémaxillaire (extrémité de la mâchoire supérieure) en forme de rostre – plus ou moins puissant et incliné, et qui porte les incisives supérieures – chacune de ces espèces de siréniens avait son propre mode de pâturage. Véritables bêches, les incisives supérieures sont de forme (type pic ou pelle), de taille et de puissance différentes suivant les espèces. Chacune de ces espèces prélevait donc sa nourriture à un niveau différent de la masse végétale et aussi à des profondeurs variables. Les mieux armées creusaient au plus profond le limon pour y dévorer les rhizomes. Les tiges étaient attaquées par d'autres siréniens et les feuillages sommitaux étaient broutés par les espèces de surface. Ce mode de bêchage et d'émondage sélectif des massifs végétaux influaient sur la repousse. De nos jours, les siréniens paissent seulement les plantes flottantes ou émergentes (graminées, jacinthes d'eau, najadales...) et les algues.
En France, dans la réserve géologique de Haute-Provence, on peut visiter le gisement de siréniens de Taulanne (Alpes-de-Haute-Provence), protégé et aménagé pour recevoir les visiteurs. Sur une dalle d'une longueur de plus de 500 mètres gît tout un troupeau de dugongs fossiles piégés probablement lors d'une tempête et ensevelis dans la boue. Plusieurs crânes et squelettes quasi complets en ont été extraits. Le gisement est d'âge éocène supérieur (de 35 à 40 millions d'années). À ce jour, une seule espèce y a été décrite, alors que dans les gisements plus récents, sur les rives de la Téthys, de l'Oligocène au Pliocène, ont coexisté des troupeaux de siréniens constitués de plusieurs[...]
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Écrit par
- Jean-Louis HARTENBERGER : directeur de recherche émérite au CNRS
Classification
Média