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SOCIÉTÉ CIVILE

Pour qui veut tenter une approche synthétique de la notion de « société civile », deux difficultés préalables et conjointes doivent être surmontées. En premier lieu, cette notion est d'un usage et d'un contenu particulièrement fluctuants : quoi de commun, en effet, entre la conceptualisation hautement technique qui en fut donnée par Hegel et ses usages sociaux et politiques les plus communs ? À cette fluctuation s'ajoute une oscillation constante entre l'analytique et le normatif : dans ses divers contextes, l'idée de « société civile » peut, certes, se concevoir comme un outil scientifique, mais aussi, et c'est le cas le plus fréquent, comme un concept politique connoté positivement ou négativement, le positif l'emportant d'ailleurs largement la plupart du temps.

En fait, ces deux difficultés ont la même racine : pour reprendre la formule de Dominique Colas, la société civile est un « concept différentiel ». Autrement dit, le terme fait le plus souvent partie – dans les différents systèmes de pensée qui en font usage –, d'un couple d'oppositions et se définit par rapport à ce à quoi il s'oppose. Le plus célèbre de ces couples est le fameux « État /société civile », lieu commun à la philosophie et à la science politiques. Mais il existe des oppositions plus anciennes dont il importe de démêler l'écheveau. Retracer le parcours historique de ce que l'on appelle « société civile » permettra de mieux l'appréhender, et de comprendre mieux certains de ces usages contemporains.

Histoire

Comme le souligne Dominique Colas, la première occurrence historique de la société civile apparaît au ive siècle avant J.-C., chez Aristote, dans la Politique. La koinônia politikè (communauté politique) grecque et sa traduction latine, societas civilis, donneront naissance à notre expression. Déjà chez Aristote, la société civile /communauté politique fonctionne en opposition à d'autres types de communauté (la famille, le peuple). Il s'agit ici de définir la forme la plus haute d'organisation, celle qui accomplit pleinement la nature sociale et politique de l'homme. La valorisation est donc très claire. À partir de là, et par un jeu complexe de transmissions et traductions, le terme évolue dans la topographie des systèmes conceptuels successifs. Ainsi, chez saint Augustin, la société civile se distingue de la cité de Dieu : le terrestre, séparé du céleste, lui est subordonné, sans pour autant que son existence propre soit remise en cause. En revanche, chez les théoriciens contractualistes qui suivirent (Hobbes, Rousseau), le civil s'oppose non plus au céleste mais au « naturel ». La société civile représente alors, en tant que communauté organisée, la sortie de l'état de nature. En ce sens, société civile et État sont identiques. Contrairement à une idée répandue, ces deux entités ne sont donc pas distinctes depuis les débuts de la pensée politique occidentale.

Si on excepte le cas spécifique des premiers économistes libéraux (Adam Smith, Bernard de Mandeville), il faut attendre le début du xixe siècle et Hegel pour trouver une conceptualisation systématique de cette division, qui deviendra centrale dans la réflexion politique moderne. On le sait, cette distinction est au cœur du système philosophique hégélien : la société civile étant la sphère du privé, du particulier, du travail et des échanges économiques, distinguée de l'État, lui-même compris comme le lieu de l'universel et du général. Cependant, distinction ne signifie pas séparation radicale : selon la célèbre formule de Hegel, l'État est la « condition de possibilité de la société civile » ; autrement dit, celle-ci ne peut exister sans que les antagonismes qui existent en son sein ne soient dépassés par l'institution étatique. C'est précisément cette distinction que Karl[...]

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Écrit par

  • : professeur de science politique, université de Poitiers

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