SOCIÉTÉ DE MASSE
Caractéristiques de la société de masse
Déclin des groupes primaires
La societé de masse se révèle tout d'abord par la disparition des groupes primaires, ou, tout du moins, par le fait que ceux-ci perdent leur pouvoir d'autorégulation. Dans Social Organization, Charles Horton Cooley, le premier, a défini ce concept de groupe primaire à l'aide des rapports « intimes » et « face à face » qui se réalisent en ce type de groupe. Pour Cooley, seuls ces liens profonds déterminent une socialisation véritable qui donne à chaque membre un « je » autonome grâce aux échanges constants avec les autres membres du groupe. Citant la famille, le groupe de voisinage ou le groupe de jeux, Cooley était conscient de leur fragilité dans les sociétés industrielles modernes : il craignait que leur disparition ne conduise précisément à une sorte de société de masse atomisée. La famille, par exemple, perd à notre époque une partie de ses fonctions de socialisation et se trouve menacée par la dispersion ; selon un processus identique, les traditionnelles relations de voisinage des communautés rurales font de plus en plus place aux relations souvent impersonnelles des grands ensembles.
Désintégration des communautés
À un niveau plus élevé, la société de masse s'exprime par une continuelle désintégration des communautés locales. Celles-ci abandonnent aujourd'hui une grande part de leur autonomie, alors que, pour Tocqueville, elles représentaient l'instrument d'autorégulation par excellence. L'école de Chicago, et notamment Robert Park (The City), a étudié les conséquences de l'industrialisation et de l' urbanisation à leur égard : elle a montré comment le sentiment d'intégration, comme l'idée d'appartenance ou d'identification, perdait toute réalité. Robert Nisbet (Quest for Community) met en évidence l'aspect pathologique des communautés d'aujourd'hui, en soulignant l'isolement dans lequel leur disparition laisse l'individu face à l'État. On a remarqué de même que ce tout organique que représente la cité s'érode d'autant plus que celle-ci participe au processus d'échange à l'échelon national. De même, les banlieues renforcent l'aspect impersonnel des relations sociales et empêchent la création d'une vie collective. Enfin, les organisations religieuses ou culturelles locales qui liaient entre eux les individus connaissent elles aussi un fort déclin : la solidarité ne s'exprime donc plus au niveau local, mais à celui, plus abstrait, de la société tout entière. On peut comprendre que, dans des sociétés où les communautés locales et leurs supports culturels se voient brusquement détruits par une industrialisation et une urbanisation rapides, les individus soient aisément mobilisables par des mouvements totalitaires. Seule la naissance de groupes intermédiaires (les syndicats par exemple) pourra freiner une telle tendance provoquée tant par l'atomisation que par l'anomie qui en résulte.
Bureaucratisation croissante
La destruction des groupes primaires, des communautés locales ou des groupes intermédiaires laisse l'individu isolé face à un État qui bénéficie de techniques modernes pour accroître sans cesse son pouvoir. Max Weber, après Tocqueville, a décrit la bureaucratisation de l'État, qui se développe grâce à une rationalisation impersonnelle et crée un sentiment de désenchantement chez les individus. Que ce soit au niveau de l'État ou à celui d'une organisation particulière, on assiste ainsi à la mise en place d'un fonctionnement rationnel qui tient peu compte des relations humaines. Dans ces structures bureaucratiques, comme l'a montré Robert Merton, les individus se sentent atteints jusque dans leur personnalité : cette forme d'aliénation paraît d'autant plus profonde qu'elle se trouve encore renforcée par d'autres[...]
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Écrit par
- Pierre BIRNBAUM : professeur à l'université de Paris-I
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