- 1. Nature ou artifice : les paradoxes de l’origine
- 2. Faire société : le contrat
- 3. Où commence l’échange des biens ?
- 4. La monnaie, une commune mesure
- 5. De la promesse comme fondement de la vie sociale
- 6. L’insociable sociabilité des hommes
- 7. Holisme et individualisme : la problématique de la contrainte
SOCIÉTÉ (notions de base)
Faire société : le contrat
La question de l’origine apparaît sous un jour nouveau avec les théories modernes du contrat. Sans doute l’hypothèse d’un état présocial, appelé « état de nature », n’a-t-elle jamais été posée comme une réalité historique par ses protagonistes, mais plutôt comme une hypothèse méthodologique permettant de mieux percevoir ce qui caractérise l’état social. Décrire un état présocial permet de se représenter l’autonomie perdue dont auraient disposé des créatures vivant dans de telles conditions. Loin de s’affronter sauvagement, comme l’avait imaginé Thomas Hobbes (1588-1679) dans son Léviathan(1651) en supposant le règne de la « loi du plus fort », des hommes vivant à l’état de nature ignoreraient la servitude. Jean-Jacques Rousseau (1712-1778) a beau jeu de démontrer les contradictions de la construction hobbesienne : « Les liens de la servitude n’étant formés que de la dépendance mutuelle des hommes et des besoins réciproques qui les unissent, il est impossible d’asservir un homme sans l’avoir mis auparavant dans le cas de ne pouvoir se passer d’un autre ; situation qui, n’existant pas dans l’état de nature, y laisse chacun libre du joug, et rend vaine la loi du plus fort » (Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes, Ire partie, 1754).
En entrant en société, les hommes s'engagent inévitablement dans un état d’« interdépendance ». Platon (env. 428-env. 347 av. J.-C.) avait ouvert la voie à Rousseau en évoquant l’« impuissance » des individus comme étant à l’origine de la cité : « Ce qui donne naissance à une cité, c’est l’impuissance où se trouve chaque individu de se suffire à lui-même, et le besoin qu’il éprouve d’une foule de choses » (République, livre II). Aucun individu n’étant apte à satisfaire tous ses besoins fondamentaux, au premier rang desquels nourriture, logement et vêtements, les hommes vont se répartir les tâches en profitant des aptitudes différentes des uns et des autres. Rousseau met l’accent sur la perte d’indépendance engendrée par l’état social.
Cette perte est cependant largement compensée par tous les bénéfices que nous procure la vie en communauté. Loin de vouloir « retourner vivre dans les forêts avec les ours », comme le remarque ironiquement une note du Discours, l’auteur Du Contrat social(1762) nous invite à nous réjouir d’être entrés en sociétés et à « bénir sans cesse l’instant heureux qui [...] d’un animal stupide et borné fit un être intelligent et un homme » (livre I, chapitre VIII). La relation avec autrui enrichit considérablement chacun. Tout irait pour le mieux si l’amour-propre ne venait se substituer à l’amour de soi qui forme l’instinct de conservation. En voulant briller aux yeux des autres, l’homme cultive la vanité, les écarts se creusent, les inégalités explosent. On sort insensiblement de l’âge d’or que représentait l’« état de société commencée » pour s’engager dans la voie des conflits et de la violence propre aux sociétés historiques.
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Écrit par
- Philippe GRANAROLO : professeur agrégé de l'Université, docteur d'État ès lettres, professeur en classes préparatoires
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