- 1. Nature ou artifice : les paradoxes de l’origine
- 2. Faire société : le contrat
- 3. Où commence l’échange des biens ?
- 4. La monnaie, une commune mesure
- 5. De la promesse comme fondement de la vie sociale
- 6. L’insociable sociabilité des hommes
- 7. Holisme et individualisme : la problématique de la contrainte
SOCIÉTÉ (notions de base)
La monnaie, une commune mesure
Sans l’existence d’une monnaie, jamais les échanges n’auraient pu s’intensifier et se mondialiser comme ils l’ont fait au cours de l’histoire. La monnaie parvient à rendre « commensurables » des produits aussi différents que des légumes et des chaussures. Aristote en fut le premier théoricien : « Ainsi, la monnaie est une sorte d’intermédiaire qui sert à apprécier toutes choses en les ramenant à une commune mesure » (Éthique à Nicomaque). Le propre de la monnaie est de constituer un moyen terme qui, tel celui du syllogisme logique, ne sert qu’à relier deux termes trop éloignés. Le moyen terme « B » disparaît dans la conclusion d’un syllogisme – A est B, B est C, donc A est C –, comme la monnaie disparaît après avoir permis l’échange de la marchandise produite par l’un avec la marchandise produite par l’autre. Nous sommes dans ce cas en présence d’un usage « naturel » de la monnaie, simple intermédiaire destiné à faciliter les échanges. Toutefois si, de moyen terme, la monnaie devient le point de départ et le point d’arrivée de l’échange, autrement dit si je l'utilise pour acquérir une marchandise qui me permettra d’obtenir davantage d’argent, nous entrons dans l’échange « chrématistique », pour reprendre l’attribut d’Aristote, un échange qui est devenu virtuellement sans limites. Si l’on ne peut accumuler des marchandises au-delà d’une certaine quantité, on peut accumuler indéfiniment de l’argent. Aristote dessine remarquablement ce qui va se développer dans les millénaires à venir.
Alors que la monnaie, en facilitant les échanges, peut resserrer les liens entre les membres de la Cité, son usage chrématistique détruit les rapports sociaux qu’elle a pour conséquence de noyer dans « les eaux glacées du calcul égoïste » (Karl Marx, Manifeste du Parti communiste, 1848). Contrairement aux penseurs libéraux qui s’efforcent de démontrer que l’égoïsme des acteurs constitue le moyen le plus sûr de rendre vivante et performante une société, Marx et ceux qui le suivent tracent le portrait d’une société capitaliste où le développement de l’industrie et des marchés ne peut conduire qu’à l’insurrection des dominés et à la « lutte finale » conduisant au communisme. Que Marx ait vu juste ou non, il n’est pas indifférent de noter que le mot « société » a fini par désigner les entreprises. Condamnée ou non à disparaître, la société dans laquelle nous vivons voit la domination absolue de l’économie sur toutes les autres dimensions.
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Écrit par
- Philippe GRANAROLO : professeur agrégé de l'Université, docteur d'État ès lettres, professeur en classes préparatoires
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