SOCIÉTÉ
Typologie des sociétés globales
Avant que de s'interroger sur cet acte fondateur, il est intéressant de poursuivre – pour en préciser les limites – la démarche du sociologue qui entreprend de dénombrer et de classer les sociétés dans lesquelles il voit des réalités. Il ne peut y parvenir qu'à la condition de faire des regroupements à partir de critères jugés pertinents, c'est-à-dire de forger des types. « Il semblait, observe Durkheim dans les Règles de la méthode sociologique, que la réalité sociale ne pouvait être l'objet que d'une philosophie abstraite et vague ou de monographies purement descriptives. Mais on échappe à cette alternative une fois qu'on a reconnu qu'entre la multitude confuse des sociétés historiques et le concept unique mais idéal de l'humanité, il y a des intermédiaires : ce sont les espèces sociales. »
Ce souci de classement des sociétés globales dissimulera souvent une hiérarchisation des sociétés, de la plus simple à la plus complexe, de la plus « sauvage » à la plus « civilisée ». En fait, le sociologue est pris entre deux tentations, celles-là mêmes qu'évoquait Durkheim : d'une part, il n'est jamais confronté qu'à des sociétés particulières qui ont une individualité telle que le culturalisme a pu, à juste titre, revendiquer le droit de les considérer chacune dans son être propre, irréductible à tout autre – et il est vrai que le regard ethnographique se doit, pour exister, de se soumettre à cet impératif –, le projet qui en résulte nécessairement est bien celui de multiplier les monographies ; d'autre part, il est tenté de ne voir dans la diversité des sociétés que le mouvement même par lequel l'humanité, envisagée dans son unité et son unicité, organise son devenir ascendant jusqu'à ce point le plus élevé qui est, par une coïncidence admirable, la société du sociologue, celle qui a inventé la sociologie. Appréhendées comme des moments figés, les différentes sociétés sont alors identifiées à des étapes dans l'histoire des hommes. C'est pourquoi les typologies des sociétés globales apparaissent souvent contingentes et parfois même dérisoires dans leur schématisme. Mais n'est-ce pas là la conséquence inéluctable d'une démarche qui prend pour modèle celle du naturaliste et qui traite les sociétés comme des réalités closes, justiciables des descriptions, des analyses et des procédures de la science positive ? La typologie des sociétés est le talon d'Achille des grandes théories sociologiques. Elle rend manifeste, en son intention même, ce que ces dernières doivent aux philosophies de l'histoire en même temps qu'au scientisme. Il ne paraît donc pas inutile de rappeler quelques-unes de ces classifications.
Durkheim posait la fiction d'unités sociales simples dont la combinaison expliquait les diverses espèces sociales. On a ainsi la « horde », groupe dont la simplicité est telle qu'il se résout immédiatement, lorsqu'on l'analyse, en individus juxtaposés ; le « clan », première société réelle, juxtaposition de hordes, les « sociétés polysegmentaires simples », les « sociétés simplement composées », les « sociétés doublement composées », et ainsi de suite jusqu'aux « sociétés polysegmentaires complexes ».
Plus élaborée, en apparence, la typologie qu'on trouve chez Marx est construite sur l'idée que l'infrastructure économique est déterminante. Elle donne à voir une succession « dialectique » de types sociaux qui s'engendrent les uns les autres en autant d'étapes allant de la société primitive sans classes à la société sans classes communiste :
– La communauté primitive est fondée sur la possession commune du sol, sur les liens de parenté, et sur une économie d'occupation[...]
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Écrit par
- André AKOUN : professeur émérite, université de Paris-V-Sorbonne
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