SOCIÉTÉS ANIMALES
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Les fonctions des sociétés
Une organisation sociale représente une forme d'adaptation à l'environnement. C'est une stratégie de coopération qui repose sur des actes altruistes, c'est-à-dire des comportements qui supposent un coût pour l'individu et un bénéfice pour ses partenaires. Cela résulte de l'action de différentes forces qui s'exercent au cours de l'évolution des populations et des espèces (tabl. 2).
Les causes de la vie en groupe
Diverses circonstances écologiques peuvent expliquer que des animaux vivent ensemble. Le risque de la prédation représente un important facteur de regroupement. Il oblige les animaux à se protéger par différents moyens. La défense collective est une première stratégie. Il n'est pas rare de voir un faucon se faire « houspiller » par un vol de moineaux qui vont le chasser malgré leur taille nettement inférieure, ou encore des babouins défendre un des leurs contre un léopard. Une deuxième stratégie est la vigilance. L'effet de surprise étant nécessaire à de nombreux prédateurs, plusieurs paires d'yeux valent mieux qu'une ; c'est le cas chez le pigeon ramier où le temps de détection des rapaces est d'autant plus court que la dimension du groupe est importante. Une étude a même montré chez un oiseau africain, le cratérope, que des individus sentinelles émettent une vocalisation spéciale qui informe leurs compagnons de l'absence de danger, leur permettant ainsi de s'alimenter longuement, sans avoir à surveiller fréquemment leur voisinage. Un autre avantage de la vie en groupe est ce qu'on appelle l'effet de dilution : plus les animaux sont nombreux et plus faibles sont les chances de chacun d'entre eux d'être capturé, surtout s'ils se situent au centre même du groupe ; chez une espèce le phoque commun, on constate que la durée de vigilance est plus importante chez les individus placés en périphérie que chez ceux qui se tiennent plus au centre du groupe. Enfin, les mouvements désordonnés de nombreux individus lors d'une attaque peuvent produire chez le prédateur un effet de confusion qui lui fait manquer ses proies : des antilopes attaquées par un léopard bondissent dans toutes les directions, ce qui tend à le désorienter.
L'accès aux ressources est un autre facteur de regroupement. Pour les prédateurs qui chassent en meute, comme les loups ou les hyènes tachetées, la coopération permet de capturer des proies de plus grande taille que ne l'autorise la chasse solitaire. Chez beaucoup de primates, les fruits, qui constituent l'essentiel de leur alimentation, se concentrent sur des parcelles et des arbres dispersés dans le milieu ; la compétition entre congénères donne l'avantage à ceux qui sont capables de s'allier pour accaparer les sources de nourriture. Chez de nombreuses espèces, le partage de l'information favorise la formation de groupes et colonies. En observant ou en suivant leurs congénères, les animaux tirent profit de leurs connaissances et de leurs recherches. Chez une espèce comme le sterne, les oiseaux reviennent à la colonie avec des poissons en travers du bec, leurs compagnons pouvant en déduire que la zone de pêche est fructueuse ; chez les macaques, un individu comprend où son partenaire s'est nourri en lui flairant la bouche. Ainsi, chez de nombreuses espèces, les individus voient où s'alimentent leurs compagnons et ce qu'ils découvrent. C'est ce que l'on nomme l'information publique. Il est également probable que les animaux qui vivent en colonies choisissent leur site de nidification en fonction du nombre de congénères déjà présents sur la zone, l'existence d'une colonie florissante révélant des conditions favorables à l'approvisionnement et à la reproduction.
Deux autres raisons de s'associer structurent les groupes d'animaux : l'accès aux partenaires sexuels et l'élevage des jeunes. L'appariement des sexes a pour effet de susciter différentes formes de groupements. Par exemple, les territoires en sous-location, les leks et les groupes unimâles sont tous des systèmes d'appariement « polygynes » où un mâle unique se reproduit avec plusieurs femelles. Les systèmes « polyandriques », où cette fois une seule femelle s'accouple avec plusieurs mâles, sont plus rares ; ils se rencontrent chez certains oiseaux et singes tamarins. Dans les systèmes avec promiscuité sexuelle, mâles et femelles peuvent s'accoupler avec plusieurs partenaires, c'est ce que l'on observe dans les groupes mixtes des macaques ou des singes verts. Enfin, on qualifie de monogames les espèces qui forment des couples.
Il faut toutefois distinguer entre système d'appariement et système de transmission génétique. Chez une majorité d'espèces d'oiseaux dites monogames, les analyses de paternité révèlent qu'une part significative des naissances résulte de copulations hors couple. Pour les groupes mixtes et unimâles, les études génétiques démontrent pareillement que, bien souvent, les mâles dominants sont loin d'obtenir le monopole de la reproduction. Vaincre physiquement les autres compétiteurs et résider auprès des femelles représentent la stratégie de reproduction la plus visible, mais les différents systèmes d'appariement laissent place à bien d'autres tactiques lorsqu'il s'agit d'obtenir l'avantage dans la compétition sexuelle : une femelle préférera un mâle porteur d'attributs qui n'ont aucun lien avec la force physique, telle une longue queue chez l'hirondelle ; un mâle s'accouplera avec une femelle lorsque celle-ci échappe à la surveillance du mâle dominant chez le babouin de savane ; plusieurs mâles célibataires envahiront un groupe, submergeant les capacités de contrôle du mâle résident chez les cercopithèques ; les mâles rivaliseront par endurance chez les cerfs et les phoques, ceux qui atteignent le plus grand succès reproducteur étant les individus capables de soutenir le plus longtemps les temps de repos et d'alimentation réduits de la période de rut. À cela s'ajoute, chez les primates, la possibilité de former des coalitions contre un mâle dominant, et chez diverses espèces, depuis les insectes jusqu'aux rongeurs, ce que l'on nomme la compétition spermatique. Dans ce dernier cas, la sélection s'opère au niveau des organes génitaux de la femelle : le pénis des mâles peut avoir une forme permettant d'expulser le sperme du mâle précédent, ou bien le sperme d'un mâle forme un bouchon qui empêche toute insémination par un autre mâle, ou bien encore c'est entre les spermatozoïdes des mâles que se réalise la compétition.
L' élevage des jeunes constitue une autre dimension cruciale de la vie sociale. Celle-ci trouve souvent son origine dans la structure familiale. Les soins parentaux incluent la construction des nids et terriers, la production et les soins aux œufs, l'alimentation de la progéniture et tout ce qui peut contribuer à sa survie. Chez les espèces à développement lent comme les primates, cela comprend la protection des jeunes pendant plusieurs années, jusqu'à l'âge de leur maturité. L'investissement parental est fonction du degré de probabilité de l'existence d'un lien génétique unissant adultes et immatures. Il est maximal chez les femelles, qui jouent un rôle majeur dans l'élevage des jeunes. Au contraire, il est variable pour les mâles, ce qui explique que les soins paternels soient particulièrement importants chez les oiseaux monogames car le mâle a des chances élevées d'être le père de la progéniture qu'il vient nourrir. Une première conséquence est que le choix d'appariement des femelles varie en fonction du degré d'investissement des mâles dans les soins parentaux. En outre, le coût de ces soins pour les parents peut provoquer un conflit d'intérêt avec la progéniture. Cela rend compte des crises de sevrage qui surviennent chez les mammifères lorsque la mère vient à refuser l'allaitement à des jeunes qui le réclament encore.
Les multiples rôles des sociétés animales
Les sociétés animales ne se réduisent pas à des groupements isolés les uns des autres. On doit les comprendre comme des populations où des individus s'agrègent tandis que d'autres passent d'un groupe à l'autre, avec pour corollaire que l'organisation sociale influence les modes de transmission génétique. Chez les espèces formant des unités sociales permanentes, une partie des individus sont allopatriques, ce qui signifie qu'ils quittent leur domaine natal, et donc leur groupe d'origine, en atteignant la maturité. Chez une majorité de mammifères, ce sont les mâles qui se dispersent tandis que les femelles se montrent philopatriques, c'est-à-dire qu'elles demeurent dans leur groupe initial. Chez certaines espèces, ce sont les individus des deux sexes qui se dispersent tandis que pour d'autres ce sont les femelles qui quittent le groupe d'origine. La dispersion des individus est liée au réseau des relations qui unissent les membres des groupes. Chez les chimpanzés, ce sont les mâles qui forment le noyau stable de la collectivité et assurent la défense du territoire commun contre les groupes voisins ; les femelles changent de communauté à l'âge de la reproduction. Chez les gorilles, les mâles deviennent solitaires ou rejoignent d'autres mâles célibataires en atteignant l'âge adulte ; c'est en attirant des femelles lors de rencontres avec d'autres groupes qu'ils fondent leur propre unité sociale. Chez les macaques et les babouins de savane, mais aussi la hyène tachetée, les femelles forment des clans d'apparentés qui se soutiennent dans les conflits. Dans ce système matriarcal, chacune « hérite » du rang de dominance de sa mère dans la hiérarchie du groupe. Les mâles, quant à eux, doivent partir et entrer dans une nouvelle troupe pour se reproduire. Il leur arrive de changer de groupe plusieurs fois dans leur vie.
Des regroupements de même type peuvent donc remplir des fonctions différentes, qu'il s'agisse d'exploitation de l'environnement, d'élevage des jeunes, d'appariement des sexes ou de transmission génétique. Pour faire face à ces objectifs multiples, nombre d'espèces varient dans leurs associations suivant la saison ou les circonstances écologiques. Les renards vivent généralement en solitaires, mais ils peuvent former des couples ou des groupes. Chez les cervidés, un système de lek avec territoires de parade peut se transformer en groupe unimâle ou même en territoire avec défense des ressources lorsque la densité de population augmente. D'autres espèces s'organisent de manière à accomplir différentes fonctions simultanément. Elles forment pour cela des groupes complexes organisés en plusieurs niveaux.
Les babouins hamadryas en constituent un premier exemple. Ils vivent dans des régions semi-désertiques où il leur faut tout à la fois former des groupes importants pour se protéger des prédateurs et se disperser en petites unités pour récolter une nourriture rare et clairsemée. L'unité sociale de base est le groupe unimâle, composé d'un mâle et de quelques femelles adultes suivies de leurs jeunes. Les mâles apparentés forment des alliances et leur association conduit à la formation de clans. Les clans eux-mêmes se regroupent en bandes. Dans la société patriarcale des hamadryas, les mâles demeurent dans leur clan. Les jeunes mâles attirent à eux des femelles juvéniles pour constituer leur groupe ; par la suite, ils peuvent également conquérir des compagnes adultes en les enlevant par la force à des mâles vieillissants, c'est ainsi que les femelles passent d'une unité à l'autre en restant généralement à l'intérieur d'une même bande. La bande se rassemble la nuit pour dormir sur de grands rochers. Au matin, les animaux doivent décider autour de quel point d'eau ils vont se retrouver à la mi-journée. Pour afficher leur choix, les mâles s'assoient en périphérie du groupe, tournés dans la direction qu'ils favorisent, leurs femelles derrière eux ; d'autres mâles s'orientent dans une autre direction ou bien viennent s'asseoir devant un partenaire, dans la même direction que lui. C'est ainsi que « votent » les mâles. L'influence de chacun dépend de son appartenance à un clan et du nombre d'alliés qu'il mobilise. Lorsqu'une colonne importante finit par se former dans une direction, c'est toute la bande qui se met en marche. Elle va progressivement se fragmenter en petites unités qui se dispersent sur de vastes étendues à la recherche de leur nourriture. Les hamadryas convergeront plus tard autour du même point d'eau. Alors que le groupe unimâle et le clan sont des groupes d'élevage et de reproduction, c'est au niveau de la bande que se réalisent les choix écologiques déterminants pour la collectivité.
Les abeilles offrent un second exemple d'organisation capable de remplir de multiples fonctions. La reine s'accouple lors de son vol nuptial avec plusieurs mâles dont l'unique rôle est de la féconder. Au sein de la colonie, elle est seule responsable de la ponte pendant les deux à quatre années de sa vie. La reine contrôle les activités des ouvrières à travers l'émission de phéromones qui sont des substances chimiques capables d'influencer les activités et la physiologie des ouvrières, et en particulier d'inhiber leur reproduction. Les tâches des ouvrières évoluent avec leur âge. Les deux premières semaines, elles sont en charge de la nutrition des larves et de la reine, puis elles réceptionnent la récolte des butineuses. À trois semaines, elles assurent la construction des rayons, la ventilation et la garde de la ruche. Enfin, elles deviennent butineuses, rôle ouvert à tous les dangers. Pour exploiter efficacement son domaine, la colonie déploie ses butineuses en différents points, en fonction de la richesse en nectar et en pollen. Les choix s'effectuent à partir d'un processus de recrutement et d'abandon. À leur retour à la ruche, les butineuses accomplissent une danse ritualisée indiquant à leurs congénères la distance, la direction, l'abondance et la qualité de la ressource. Une danse de grande intensité a pour résultat de recruter de nombreuses butineuses sur un site donné, alors qu'une faible intensité ou l'absence de danse aboutit à l'abandon progressif du site. Tandis que la société des hamadryas repose sur l'articulation des relations sociales, la colonie d'abeilles s'appuie sur des interactions sociales entre individus aux réponses uniformes.
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Écrit par
- Bernard THIERRY : directeur de recherche au C.N.R.S.
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- COMPÉTITION, écologie
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