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SOCIÉTÉS SECRÈTES

L'existence n'exclut pas la coexistence, ni l'apparent, le caché. Depuis toujours, les hommes l'ont pressenti et les plus sages d'entre eux ont compris que l'acte de voir ne se réduit pas seulement à ouvrir les yeux et à regarder les choses mais qu'il nous oblige aussi à les fermer et à contempler l'être que nous sommes. De là sont nées deux langues différentes dans notre langage, celle du visible et celle de l'invisible, celle des signes des objets extérieurs et celle des symboles du sujet intérieur, celle des collectivités et celle des communautés, celle de l'éducation et celle de l'initiation.

La mentalité « scientiste », sous l'influence du positivisme du xixe siècle, a interprété de façon antinomique et conflictuelle cette alternance nécessaire des pouvoirs et des savoirs de l'homme en fonction de réalités distinctes mais harmoniquement complémentaires. À l'époque présente, un mouvement inverse tend à établir la vérité perdue. Goethe l'avait déjà pressenti : « Le secret sacré connu de tout le monde, a-t-il dit, c'est le monde. » On ne saurait mieux désigner la plus vaste société mystérieuse que l'on puisse concevoir et le lieu insituable quoique toujours situé de ses initiations.

Associations clandestines et sociétés de mystères

L'expression « sociétés secrètes », consacrée par l'usage, n'en est pas moins la source d'une confusion fréquente et grave, notamment par ses conséquences juridiques répressives, entre deux notions qui ne sont voisines qu'en apparence, celle de « secret » et celle de « mystère ».

Les associations clandestines qui cachent leurs fins, leurs moyens, leur organisation et les noms de leurs membres semblent secrètes si on les considère d'un point de vue extérieur et formel. Elles ne sont pas mystérieuses pour autant, en ce sens que leurs affiliés et leurs chefs doivent et peuvent connaître clairement les buts qu'ils se proposent d'atteindre et les causes de leur action commune. Dans la plupart des cas, il s'agit d'objectifs limités dans le temps et, par exemple, d'entreprises politiques dirigées contre le pouvoir établi. On peut constater assez souvent dans l'histoire que ces associations, leurs buts atteints, cessent d'être clandestines et constituent alors les noyaux autour desquels se forme un autre gouvernement ou bien un nouveau parti.

Les organisations initiatiques, au contraire des précédentes, ne cherchent nullement à dissimuler leur existence, sauf quand elles sont persécutées. Leurs lieux de réunion, leurs doctrines, leurs statuts et, bien souvent, les noms de leurs membres sont connus des pouvoirs publics. Ces groupements ne peuvent donc pas être tenus pour secrets, d'un point de vue extérieur et formel.

En revanche, quand il s'agit d'une organisation initiatique de type authentiquement traditionnel, elle se fonde toujours sur un mystère intérieur, central et profond, celui de la transmission de ce que René Guénon appelle une « influence spirituelle », incommunicable aux profanes. Ce « secret initiatique », par sa nature même, ne peut être connu ni compris par la raison ; il doit être éprouvé, réalisé et vécu surrationnellement par l'intermédiaire des rites et des symboles tout autant que par les efforts personnels de l'initié. De plus, ces organisations ne se proposent pas d'atteindre un but politique déterminé, ni d'imposer à leurs membres des dogmes ou des croyances, ni de leur enseigner des systèmes philosophiques. Enfin, la permanence et l'universalité de ces organisations, qu'il vaudrait mieux nommer « sociétés de mystères » plutôt que « sociétés secrètes », sont les deux phénomènes principaux qui ont retenu l'attention des ethnologues et des sociologues. Loin de s'éteindre avec la cause qui les a fait naître, comme[...]

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Écrit par

  • : historien des sciences et des techniques, ingénieur conseil

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