SOCIÉTÉS SECRÈTES EN CHINE
Associations ou fraternités clandestines, connues dans l'Empire chinois dès les premiers siècles de notre ère et qui se sont perpétuées jusqu'au milieu du xxe siècle. À la fois groupes d'insoumission collective, centres de lutte politique contre le pouvoir impérial et foyers de dissidence idéologique, elles constituaient un phénomène récurrent dans la vie sociale de l'ancienne Chine. Elles se regroupent en deux grands ensembles. Au Lotus blanc (Bailianjiao), apparu au xiie siècle sous les Song et implanté en Chine du Nord, se rattachent notamment les Huit Diagrammes (Bagua), qui faillirent s'emparer du palais impérial de Pékin en 1813, les Boxeurs (Yihetuan ou Yihequan), les Abstinents (Zhaijiao), parmi bien d'autres groupes dérivés. La Triade ou Société du Ciel et de la Terre (Sanhehui ou Tiandihui), fondée au xviie siècle par des partisans des Ming pour résister à la conquête mandchoue, était au contraire influente en Chine du Sud, de même que ses filiales plus ou moins lointaines : la Société des aînés et des anciens, ou des frères aînés (Gelaohui), créée au milieu du xixe siècle, la Bande verte (Qingbang), influente parmi les bateliers du canal Impérial, la Bande rouge (Hongbang), puissante parmi les coolies de Shanghai.
La base sociale des sociétés secrètes était complexe. Leurs adhérents étaient recrutés essentiellement dans les classes populaires, chez les paysans pauvres, mais plus encore parmi les errants et marginaux de la société rurale : portefaix, journaliers agricoles, vagabonds, colporteurs, artisans itinérants, bateliers, baladins, contrebandiers... Les sociétés secrètes attiraient également les pauvres gens et les coolies des villes, dont beaucoup étaient des paysans transplantés de fraîche date dans un environnement hostile et qui cherchaient dans ces « structures d'accueil » un remède à leur déracinement. Les soldats licenciés, réduits au vagabondage en raison des distances qui les séparaient de leurs villages d'origine, leur fournissaient un nombre considérable d'affiliés. Enfin, à côté de ces éléments populaires, elles comptaient parmi leurs membres des transfuges des classes dirigeantes : lettrés ayant échoué aux examens, fonctionnaires dégradés, notables intrigants, fils de famille dévoyés, commerçants impatients de s'enrichir par tous les moyens.
La loi et les autorités impériales réprimaient très sévèrement l'appartenance aux sociétés secrètes. On les appelait « bandits religieux » (jiaofei), « bandits des bandes » (huifei), « bandits à turbans » (fufei), « bandits à lance » (gefei), « bandits rouges » (hongfei), « bandits qui se réclament de la dynastie Ming » (hongfei), « bandits oiseaux de nuit », c'est-à-dire contrebandiers (xiaofei), « bandits du sel » (yanfei). Tous ces termes mettent en évidence leur caractère de dissidence à la fois religieuse, sociale et politique, d'opposition globale à la société confucéenne et conservatrice.
Les sociétés secrètes possédaient en effet une idéologie propre, nourrie d'emprunts aux cultes populaires et aux systèmes philosophiques ou aux religions minoritaires (taoïsme, bouddhisme, manichéisme). Elles promettaient pour l'au-delà une vie nouvelle, enseignaient des techniques d'immortalité d'origine taoïste. La secte du Lotus blanc, fondée vers 1130 par un moine, avait repris au bouddhisme le thème messianique de Milefu (Maitreya), le Bouddha rédempteur, et les influences manichéennes, notamment la notion de « lumière » (ming), étaient présentes dans son rituel. Les sociétés secrètes faisaient grand usage de rites d'initiation très élaborés (par exemple, le serment du sang dans le cérémonial d'affiliation à la Triade), des chiffres sacrés, des médiums et des devins, de l'écriture automatique avec le pinceau magique,[...]
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Écrit par
- Daniel HÉMERY : agrégé d'histoire, maître assistant à l'université de Paris-VII
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