SOCIÉTÉS SECRÈTES
Les confréries magico-religieuses primitives
D'éminents archéologues ont soutenu la thèse de l'existence d'une religion préhistorique naissante, dès la civilisation alpine, au Paléolithique inférieur, religion dont témoigneraient des offrandes ou des sacrifices à l'ours des cavernes. On peut opposer à cette thèse un argument assez évident, à savoir que la logique du paléanthrope nous étant à peu près inconnue, nous ignorons quel sens il pouvait attribuer aux crânes et aux ossements cachés dans les sites étudiés.
En revanche, il est probable que la disposition des passages, souvent difficiles, qui conduisaient aux cavernes ornées de peintures pariétales ou dans lesquelles ont été retrouvées des effigies animales percées de coups, donne une indication valable sur des rites initiatiques de chasseurs, encore conservés par des populations primitives et étudiés par l'ethnologie comparée.
On peut observer universellement en toute initiation trois stades rituels distincts : la période de séparation des néophytes par rapport aux autres membres du clan ou de la tribu, la période d'attente dans un lieu isolé réservé à ces cérémonies, la période d'agrégation du néophyte à un groupe nouveau après des épreuves diverses.
Tantôt ces rites correspondent à des passages d'une « classe d'âge » à une autre et, dans ce cas, il s'agit de cérémonies de « purification sociale » en rapport avec des interdits religieux et avec l'organisation générale de la collectivité, tantôt ils ont pour but d'agréger le néophyte à un groupe magico-professionnel de chamans, de guerriers et de chasseurs, par exemple, et ces cérémonies ne respectent point nécessairement les tabous collectifs. Tout au contraire, dans beaucoup de cas, ces rites transgressent les règles ordinaires de façon telle que, dans certaines tribus où l'anthropophagie est considérée comme un crime, on impose à l'initié de manger de la chair humaine en l'enfermant avec un cadavre pendu dans la case de l'initiation. De même, les épreuves endurées par les chamans comportent, la plupart du temps, celle d'une solitude entière dans la jungle ou dans la steppe.
Ces rites ont en effet pour but d'arracher, en quelque sorte, le néophyte à la terre première de sa naissance et de le greffer sur le rameau de la confrérie sacrée au sein de laquelle il doit ressusciter à une vie nouvelle. La transgression n'a de sens que parce qu'elle est irréversible et interdit, en fait, tout retour à l'état profane antérieur ; de plus, elle se propose de saisir ce qui est au-delà des règles et du temps ordinairement vécu.
Si, dans la religion, une tentative permanente de synthèse s'efforce de concilier sur le même plan de l'utilité sociale l'humain et le non-humain afin de faire participer toute la collectivité à la puissance des dieux, ce but semble étranger à celui de l'initiation dans ses formes archaïques, où elle se propose de limiter à la communauté de la confrérie sacrée les avantages mais aussi les risques de la conquête de ces pouvoirs. En effet, il ne convient pas de réduire cette attitude de la confrérie à une égoïste volonté de puissance. C'est là plutôt une économie magique indispensable à la survie de la totalité du groupe collectif, dans la mesure où les puissances surnaturelles sont atteintes plus aisément sur deux plans que sur un seul et avec moins de dangers pour tous si quelques initiés seulement consentent à en être les victimes. Par ailleurs, ne faut-il pas attribuer à la capacité de transgression des interdits collectifs dont témoignent les confréries magico-religieuses primitives la lente conquête de la liberté intérieure des individus et leur indépendance progressive par rapport aux règles de la tribu ? Le rôle des « sociétés de mystères » dans l'évolution humaine[...]
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Écrit par
- René ALLEAU : historien des sciences et des techniques, ingénieur conseil
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