SOCIOBIOLOGIE
Sociobiologie et biologisme
Cette prise de distance avec les excès de la sociobiologie à ses débuts explique pourquoi les polémiques se sont quelque peu atténuées avec le temps, sans pour autant que cette discipline – il vaudrait mieux dire ce système d’interprétation – ait cessé de sentir le soufre. On peut conclure que la théorie sociobiologique initiale de Wilson a perdu sa valeur d’outil intellectuel global telle qu’avancée par son auteur avec le concept de nouvelle synthèse. Au plan historique, la sociobiologie apparaît comme l’un des nombreux épisodes qui scandent les tentatives répétées de la biologie, depuis la seconde partie du xixe siècle, de s’approprier des domaines qui lui sont – a priori – étrangers en appliquant à ces derniers des concepts biologiques qui n’y sont pas nécessairement légitimes (sélection, aptitude, adaptation, etc.). L’ensemble de ces démarches est connu depuis le début des années 1930 sous le nom de biologisme. Ces courants de pensée, dont l’importance fluctue dans le temps, se sont affadis après la Seconde Guerre mondiale, mais n’ont jamais vraiment cessé d’exister. On assiste plutôt à un intérêt croissant à leur propos depuis la fin des années 1960. Le biologisme pénètre jusqu’au politique, comme en témoigne le débat sur l’hyperactivité de l’enfant, et s’est de manière plus générale infiltré dans les sciences sociales. Chez les auteurs les plus convaincus, la pensée reste proche de celle de Wilson, voire d’un mécanicisme (déterminisme) inspiré de La Mettrie. La psychologie évolutionniste, discipline peu répandue en France, étudie dans une optique sociobiologique les mécanismes neurobiologiques humains sélectionnés dans un environnement différent du nôtre, et qui seraient à l’origine de comportements de ce fait inadaptés. Une hypothèse de type sociobiologique se retrouve dans les travaux sur la criminalité et l’inadaptation, mais aussi dans les travaux sur les troubles du développement de l’enfant.
Mais, de manière plus générale, un intérêt du biologisme et des déclinaisons de la sociobiologie est d’avoir beaucoup contribué à renouveler, sur d’autres bases, le vieux débat nature-culture ; il a conduit à introduire, selon les cas, soit davantage d’effets de l’environnement dans l’étude des comportements humains et animaux, soit davantage de biologique. L’éthologie a par exemple bénéficié de ces approches contradictoires, qui expriment en réalité l’existence d’équilibres de mécanismes au sein des populations. On notera qu’elle préfère s’appeler « écologie comportementale » pour éviter une référence restée sulfureuse. Enfin, l’un des effets, et non des moindres, de la polémique lancée par la sociobiologie et reprise par les formes modernes du biologisme aura été d’illustrer une nouvelle fois l’importance des motivations personnelles et des positions idéologiques, qui sous-tendent presque invariablement la démarche scientifique et par extension toute démarche dite rationnelle.
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Écrit par
- Gabriel GACHELIN : chercheur en histoire des sciences, université Paris VII-Denis-Diderot, ancien chef de service à l'Institut Pasteur
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