SOCIOLOGIE CLINIQUE
Les enjeux
Les questions abordées par la sociologie clinique ne sont pas nouvelles. Depuis les fondations de la sociologie, les relations entre psychique et social, affectivité et socialité, individu et collectif, subjectivité et objectivité ont fait l'objet de nombreux débats. Pour autant, beaucoup de sociologues ne savent pas comment prendre en compte les dimensions psychiques, affectives, subjectives et émotionnelles des rapports sociaux, comme si les psychologues et les psychanalystes détenaient le monopole du traitement de ces registres, comme s'ils n'étaient pas pleinement des faits sociaux.
La célèbre règle de la méthode sociologique – « traiter les faits sociaux comme des choses » (Durkheim, 1895) – encourage les sociologues à produire une représentation « froide » de la société, sans âme, sans sentiment et sans passion. La dimension psychique est renvoyée à l'étude des comportements individuels, la quête « d'objectivité » du sociologue devant se traduire par la disparition de tout intérêt pour les émotions et les affects. Cependant, cette démarche, majoritaire en sociologie, a toujours été contestée par certains sociologues qui, bien que peu nombreux, ne sont pas les moins talentueux, à commencer par Durkheim lui-même. Cette situation est paradoxale dans la mesure où tous les sociologues ou presque se réclament du fondateur de la sociologie française pour justifier leur rejet de la dimension psychique, alors même que celui-ci écrivait « l’étude des phénomènes psychiques-sociologiques n’est pas une simple annexe de la sociologie : elle en est la substance même » (Durkheim, 1895).
Les faits sociaux sont aussi des faits psychiques. Durkheim le reconnaît explicitement dans Les Règles de la méthode sociologique (1895) : « Il est incontestable que les faits sociaux sont produits par une élaboration sui generis de faits psychiques […] une culture psychologique plus encore qu’une culture biologique, constitue donc pour le sociologue une propédeutique nécessaire ; mais elle ne lui sera utile qu’à condition qu’il s’en affranchisse après l’avoir reçue et qu’il la dépasse en la complétant par une culture spécialement sociologique. » Si les comportements des acteurs sont en grande partie conditionnés par leur statut social, leur fonction et leur position, ils sont aussi des individus qui peuvent mettre leur « force sociale au service d’idées personnelles ». Durkheim évoque ici non seulement l'intérêt de l'acteur, ses stratégies pour occuper des positions de pouvoir, mais encore ses désirs, ses aspirations, ses affects, la façon dont les intentions conscientes sont sous-tendues par des forces pulsionnelles. Il y a là une ouverture de la sociologie vers la psychanalyse.
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Écrit par
- Vincent DE GAULEJAC : professeur des Universités, directeur du Laboratoire de changement social, université de Paris-VII-Denis-Diderot
Classification
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