SOCIOLOGIE COGNITIVE
Un rapprochement nécessaire
À l’heure où les sciences de l’esprit insistent de plus en plus sur le rôle de l’environnement social dans le développement phylogénétique et ontogénétique de nos capacités cognitives, il serait malheureux que les sociologues continuent à se méfier des sciences cognitives. Les neuroscientifiques peuvent par exemple aujourd’hui prouver que l’anatomie même du cerveau, par exemple dans les aires dédiées à l’attention ou à la mémoire exécutive, varie en fonction de l’origine sociale des sujets. Par contre, ils sont bien en mal d’expliquer comment s’effectue ce « modelage » cérébral par le milieu social. Autrement dit, les sciences dites « dures » sont aujourd’hui prêtes à admettre une forme de causalité du social et, du coup, à attribuer aux entités des sciences sociales une dignité ontologique qui aurait certainement ravi Durkheim. Inversement, les sciences cognitives proposent des modèles du fonctionnement de l’esprit qui peuvent être extrêmement utiles aux sociologues. Ceux-ci ont en effet beaucoup de peine à s’accorder sur ce qui « compte comme » une bonne explication des comportements sociaux. De manière intéressante, le modèle de l’esprit qui est peu à peu mis au jour par les sciences cognitives tend à confirmer beaucoup des intuitions sur lesquels les grands sociologues ont bâti leurs conceptions. En montrant comment ces intuitions peuvent s’articuler dans un modèle plus complexe de notre fonctionnement mental, la sociologie pourrait même conquérir une forme de « cumulativité » que les guerres d’écoles ont rendu jusqu’à ce jour problématique.
D’un point de vue scientifique, il est donc temps de développer une sociologie cognitive qui soit à la fois ascendante et descendante, rendant compte aussi bien des mécanismes cognitifs qui permettent aux organismes humains de devenir des agents sociaux que des processus sociologiques qui influencent le développement cognitif. D’un point de vue institutionnel, il reste à convaincre les uns et les autres qu’une collaboration entre les sciences de l’esprit et les sciences de la société est susceptible de contribuer à une meilleure compréhension des formes de vie sociales propres à notre espèce.
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Écrit par
- Fabrice CLÉMENT : professeur ordinaire à l'université de Neuchâtel (Suisse)
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